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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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étables ouvertes entre les tavernes, où des monuments très sévères touchaient aux quartiers sombres et biscornus qui les entouraient d’odeurs comme un souk africain. Petite femme turbulente, elle avait aimé cette Espagne rude, ce chaos de provinces jalouses qui n’avaient jamais connu les transitions : on y tombait dans l’hiver à la fin de l’été, même les pauvres étaient dignes, les élégantes du Prado arrêtaient de se pavaner derrière leurs mantilles quand sonnait l’angélus, le couteau prolongeait fréquemment les baisers...
    François Cabarrus, le père, après une faillite dans le commerce du savon, s’occupait de finance en Espagne mais revint à Paris. Paris. Les coquetteries de Thérésia. Ses premiers amants, un mariage à quatorze ans avec un marquis à la veille de la Révolution, puis la retraite sur Bordeaux pour fuir la Terreur, la rencontre avec le représentant Tallien, tout-puissant, qu’elle sut détourner de son zèle de guillotineur en s’offrant à lui. Mise en prison par Robespierre qui la haïssait, libérée par Barras qui la surnommait Tallita , associée à la gloire de Tallien puisque leur couple avait un temps figuré dans l’opinion la victoire de l’amour sur la tyrannie, elle triomphait désormais seule.
    L'orchestre s’était remis à jouer en sourdine. Thérésia allait de groupe en groupe distribuer des sourires et recevoir des cadeaux. Elle s’attardait devant Barras au bras de sa maîtresse officielle, Rose, la veuve d’un ancien président de la Constituante, Beauharnais, qui avait eu le cou tranché place de la Nation quatre jours avant la chute de Robespierre. Avec eux, Thérésia écoutait Saint-Aubin dont les basques de l’habit traînaient jusqu’au plancher; le jeune homme racontait pour la énième fois l’épopée des muscadins à l’assaut des barricades, et cela enflait, cela finissait par ressembler à L'Iliade . Dans L'Orateur du peuple , Fréron n’avait-il pas loué leur courage et leur prudence de vrais républicains ? Madame Delormel était présente, mais elle connaissait par cœur les vantardises de son amant et ses yeux ne quittaient pas Barras, qui souriait, une mouche de taffetas noir au coin de la lèvre. Delormel et Buonaparte s’avançaient entre les invités pour les rejoindre :
    — Vous voyez la robe à la grecque de Thérésia ?
    — Je ne vois que ça, répondit le général fasciné.
    — Douze mille livres.
    — Pardon ?
    — Elle a coûté douze mille livres.
    — Vous savez le prix de tout...
    — Pardi! c’est moi qui ai avancé la somme.
    — Pour lui plaire ?
    — Pour plaire à Barras.
    Barras les avait vus s’avancer et coupa net le récit épique de Saint-Aubin :
    — Rassure-toi, Delormel, ta Rosalie est en délicieuse compagnie.
    — La meilleure, vicomte.
    — Tallita, dit Barras, tu ne connais pas encore le général Buonaparte...
    — Tu es un vrai général ? demanda-t-elle.
    — Général d’artillerie... balbutia Buonaparte.
    — On ne dirait pas !
    — Parce que je suis en civil...
    — Je t’imagine mieux en diseur de bonne aventure.
    — Je le suis aussi.
    — C'est vrai, dit Barras, à Toulon il lisait les lignes de la main aux femmes de nos officiers.
    — Que vois-tu dans ma main ? dit Thérésia en tendant sa paume.
    — Un monde...
    — Ce n’est pas une réponse !
    — Je vois du sang... Non, pas du sang. Je vois un carosse rouge comme du sang de bœuf...
    — Tout Paris le connaît !
    — Je vois... Je vois des hommes... quatre, six, d’autres encore...
    — Ce n’est pas un mystère! dit Thérésia en riant.
    — Tu es mariée mais je vois un homme plus grand et plus riche...
    — Son nom ? s’amusait Barras, devinant que Buonaparte parlait de lui.
    — J’ignore. Il passera... un autre... Un plus jeune que toi te fera princesse...
    — Et moi? dit Rose de Beauharnais en montrant sa main. Je serai princesse ?
    La créole était en toge. Elle avait le teint mat, des cheveux noirs aux reflets roux, une douce nonchalance dans la voix et les gestes; Buonaparte ne voulait séduire que Thérésia; il regarda par politesse la main de Rose :
    — Princesse ? mais à côté de Barras, vous l’êtes déjà.
    — Menteur ! dites-moi en vrai.
    — Princesse, sans doute un jour... Je vois un château, peut-être un palais, peut-être les deux...
    — Reine de France? demanda Rose pour se moquer.
    — Hé! pourquoi pas? Aujourd’hui tout est possible.
    — Thérésia, dit Rose, si nous

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