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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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Rosalie en courte perruque blonde, il exagéra ses exploits, ou mieux, il les inventa :
    — Nous sommes intervenus dès l’aube dans un faubourg où nous attendait une armée d’enragés derrière de terrifiantes barricades. Ils nous jetaient des pierres, montraient leurs piques, mais face à notre résolution ils ne pouvaient pas grand-chose.
    — Vous aviez des fusils ?
    — Bien sûr ! mais il suffisait de tirer en l’air pour les effrayer. Ils n’avaient aucune méthode puisqu’ils n’avaient pas de véritables chefs.
    Il resta un instant l’éponge à la main avant de réciter la leçon de Buonaparte d’un ton pénétré :
    — Ils ne voulaient pas le pouvoir, pour la plupart, mais du pain, or, ce n’est pas l’estomac qui mène les révolutions, c’est le cerveau.

CHAPITRE III
    Les arrivistes
    Les faubourgs une fois réduits et les prisons bondées de jacobins hostiles à la Convention, les clarinettes remplacèrent le tocsin et les tambourins les tambours. Malgré une pénurie persistante, malgré les prix exorbitants du pain, de la viande, du bois, qui augmentaient parfois d’heure en heure, les Parisiens se remirent à vivre comme des frénétiques. Ils se battaient pour des billets de théâtre. Partout des bals. On dansait dans les églises, on dansait dans les cimetières, dans les jardins, dans les couvents; on dansait en sabots des farandoles aux carrefours, des quadrilles, des valses dans les salons; les tapissiers dansaient avec les couturières, les parvenus entre eux : les premiers dansaient pour oublier leurs estomacs vides, les seconds pour se goinfrer à des buffets débordants de volailles en gelée qu’offrait un député.
    Aux Champs-Elysées, dans la campagne, on dansait sous les lilas à la lumière des lampions, aux musiques discordantes d’orchestres nomades. La forêt était peuplée de limonadiers, de traiteurs, de cuisines, de guinguettes. Un cabriolet venu de la ville se dépêchait jusqu’au rond-point de gazon que traversait la route mal pavée de Neuilly, obliqua sur la gauche, longea les potagers cachés par des clôtures envahies de plantes. La voiture s’arrêta dans une clairière aménagée où stationnaient d’autres voitures, au début de l’avenue Verte qu’on appelait l’allée des Veuves car on y croisait, sous les ormes, des bourgeoises esseulées à la recherche d’aventures loin de la ville et de ses regards. Le cocher en livrée jaune sauta de son banc, ouvrit la portière, déroula le marchepied. Delormel descendit :
    — C'est là qu’il vous faut être, général.
    — Je vous crois, dit Buonaparte qui le rejoignait sur l’herbe, mais, franchement, ma mise est convenable ? Je n’ai aucune envie d’inspirer la pitié à ces gens si bien placés.
    — Vous n’êtes pas comme eux? Tant mieux! Ils vous remarqueront davantage.
    Ils marchaient dans un sentier qu’on devinait parmi les herbes.
    — Par chance, il ne fait pas encore nuit, dit Buonaparte en se tordant la cheville.
    — Quand la nuit tombe, des valets attendent les invités avec des lanternes.
    La forêt se clairsemait vers la Seine. Des jardiniers vivaient dans des cahutes en planches et alignaient leurs carrés de salades. A cent mètres de là commençaient les vignes de Chaillot. Derrière un bosquet de peupliers, il y avait une longue maison de bois à un étage, qu’un décorateur de théâtre avait badigeonnée de peinture rouge avec, en trompe l’œil, des briques et des poutres faussement vermoulues parmi les fleurs grimpantes qui escaladaient le toit.
    — La politique se décide dans cette chaumière, expliquait Delormel.
    — Madame Tallien aurait plus de pouvoir que son mari...
    — Ce pauvre Jean-Lambert ! il perd chaque jour de son influence. Est-il encore le mari de Thérésia? Elle lui préfère Barras, qui la préfère à son actuelle maîtresse, une créole capricieuse.
    Ils entrèrent.
    Derrière la façade champêtre, c’était le luxe. Un Neptune au trident, entouré d’Amours en pâte de Sèvres, vous accueillait au milieu d’une vasque. « Cette fantaisie a coûté trente mille livres à Barras », chuchota Delormel. Des laquais les débarrassèrent de leurs chapeaux et ils passèrent dans les salons où un orchestre caché interprétait Cimarosa. Des femmes aux tuniques diaphanes, fendues jusqu’aux hanches, enlaçaient pour une valse des militaires aux ceintures tricolores sous des lustres de mille bougies. Ces dames se parfumaient rue Montorgueil

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