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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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    — Ah non ! et la prochaine fois, nous ne viendrons plus au secours de la Convention. Elle maltraite ceux qui l’ont défendue.
    Barras grignota sa cuisse de lapin et, la bouche pleine, fit ce discours :
    — De quoi vous plaignez-vous, à la fin? En défendant la Convention vous n’avez fait que votre devoir, après tout, et il était dans votre intérêt plus que dans le nôtre de nous prêter votre appui. Vous savez fort bien que les terroristes n’auraient pas plus épargné vos têtes que les nôtres. Nous ne vous devons rien.
    Saint-Aubin tourna les talons sur une réplique méprisante :
    — Bon appétit!
    Le majordome claqua la porte derrière lui et Barras retrouva ses invités à table. Il s’assit entre Rose et Rosalie, dit à celle-ci :
    — Ton amant devient encombrant.
    — Il est impulsif, mais avec ce qu’il a vécu...
    — Pfft ! Delormel m’a raconté. Il n’est pas le seul dont la famille a été massacrée.
    — On n’en devient pas pour autant un comploteur à la solde des royalistes, dit un convive aux longs cheveux grisonnants.
    Ecrivain, auteur des lestes Aventures du chevalier de Faublas , girondin proscrit jusqu’à la mort de Robespierre, le populaire Louvet avait réclamé à la tribune de la Convention qu’on juge le comité révolutionnaire de Nantes, la ville des Saint-Aubin. C'est lui qui avait dévoilé par le détail les monstruosités de Carrier. Comme Fréron, comme Tallien, il avait d’abord encouragé les muscadins. Aujourd’hui membre du Comité de sûreté générale, il ne les souffrait plus. Acharné sur une caille, Louvet ne décolérait pas :
    — Ils représentent la jeunesse parisienne, ces petits intrigants? Ils représentent deux quartiers, oui! Combien sont-ils ? Cent ? Deux cents ? Et quand bien même ils seraient davantage, la jeunesse française n’est pas à Paris, déguisée, mais dans les quatorze armées de la République!
    — Là où ils devraient être, rêvait Barras.
    — Il n’y a qu’à les y enrôler. Ce n’est pas compliqué. Il faut les cueillir là où ils se regroupent, dans leurs cafés, dans les théâtres, dans les bals, et les encaserner de force, les mettre au pas, les disperser dans nos régiments des frontières.
    — Citoyen Louvet, ton idée me plaît.
    Rosalie pâlissait. Elle imaginait Saint-Aubin en uniforme mal coupé de fantassin, le sac au dos, marchant dans une colonne, encadré par des soldats endurcis et familiers de la mitraille. Il ne tiendrait jamais longtemps cette cadence. Comment pouvait-elle intervenir ? Barras parla pour elle :
    — Tu as peur pour ton amant, Rosalie ? Il est employé dans un ministère? Oui? Il n’y met jamais les pieds, je suppose. Qu’il s’y rende et qu’il y travaille s’il veut éviter la conscription.
    Delormel était en voyage. Il menait à l’armée du Rhin une imposante cargaison de souliers qui devait lui rapporter gros. Rosalie passa le reste de sa journée et la soirée dans leur hôtel particulier de la rue des Deux-Portes-Saint-Sauveur, plus précisément dans le jardin en compagnie du peintre Boilly qui la fignolait en déesse grecque, à peine cachée par la branche feuillue d’un laurier. Elle tenait la pose sans sentir de fatigue, tant elle pensait au sort promis à son amant. Saint-Aubin n’était pas rentré à six heures du soir, comme il le lui avait juré, et elle ignorait où il se trouvait, dans quel théâtre, dans quelle dispute, dans quel coup de force. Chez Barras elle avait compris que personne ne l’aiderait, que le cours des choses s’inversait, que le temps des exigences et des caprices s’achevait pour les muscadins. Elle devait l’en avertir, et très vite. Elle avait refusé d’accompagner Rose de Beauharnais et Barras à un feu d’artifice sur la colline de Chaillot. Elle guettait le retour de Saint-Aubin.
    — Attention, Madame, disait le peintre, ne laissez pas mollir votre bras gauche.
    Elle n’écoutait pas, il répéta, elle entendit vaguement qu’il lui parlait :
    — Qu’y a-t-il ?
    — Votre bras gauche, Madame, il retombe.
    — Pardonnez-moi.
    — Je sais bien qu’on s’ankylose à poser de la sorte, mais dans un quart d’heure je vous libère, et je vous assure que Monsieur Delormel, quand il rentrera, sera enchanté de ce portrait si émouvant...
    Du jardin on ne voyait pas l’entrée principale de l’hôtel; Rosalie tendait l’oreille au moindre bruit de fiacre. C'est lui? Non. La voiture continuait son chemin. Elle

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