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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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gouverner ? Sur les sections bourgeoises de cette garde, canonniers, cavaliers et fusiliers des beaux quartiers, armés à leurs frais ; sur les muscadins aussi qui imposaient leur loi dans les cafés, les théâtres, les rues, participaient de près à une répression large et injuste : il leur suffisait d’un soupçon ou d’un ragot pour expédier en prison quiconque avait une mine, une veste ou un passé de jacobin. Barras commençait à s’en repentir :
    — Nous ne sommes plus les maîtres, ces turbulents dictent notre conduite et se comportent comme des brutes.
    — Il y a l’armée, dit Buonaparte.
    Barras ne répondit pas, il prit une gravure posée sur sa table et la tendit au général :
    — Regarde cette image. Que vois-tu ?
    — Je vois ce qu’il y a, une urne funéraire à l’ombre d’un cyprès. Le motif est bizarre.
    — Plus que tu le crois. Regarde mieux, comme ceci, d’un peu plus loin, à bras tendu pour embrasser l’ensemble d’un seul coup d’œil.
    — Ah oui...
    Dans les feuillages et les ombres, Buonaparte distinguait les profils de Louis XVI, de Marie-Antoinette et de leurs enfants.
    — D’où vient cette gravure ?
    — De chez Goujon, le marchand d’estampes. Tout le monde peut se la procurer. Général, cela m’agace ou m’inquiète selon mon humeur. Les royalistes ne se cachent plus.
    — Et ils sont bruyants.
    Des jardins montaient les couplets du Réveil du peuple , quelques cris : les muscadins sortaient du théâtre Montansier, voisin du café de Chartres, où ils avaient chahuté, chanté et applaudi Tiercelin dans Brise-Scellés ; le comédien, calquant son personnage sur celui d’un savetier, ancien président de comité révolutionnaire, se montrait à chaque représentation à ce point affreux que les ovations couvraient ses répliques. De leur fenêtre, Barras et Buonaparte dominaient cette sortie de spectacle mouvementée :
    — Tu vois, dit Barras, ces tapageurs portent des collets noirs en signe de deuil. Ils sont persuadés que nous avons étouffé le petit Louis XVII.
    Un escalier en colimaçon reliait l’appartement de Barras à celui de sa logeuse, Mademoiselle de Montansier, qui vivait au premier étage et pouvait, par un couloir au-dessus des arcades, entrer ou sortir de son théâtre sans descendre sous les galeries. Elle rentra chez Barras comme une tornade, un peu grasse, fardée à l’excès, brassant l’air autour d’elle et braillant de sa forte voix de Gasconne :
    — Ça va recommencer !
    — Quoi donc ?
    — Les Parisiens s’agitent, Barras, je le sens bien! Ils vont casser mon théâtre. Vous, les militaires, ça va encore, mais moi? Jarbicoton! Si j’avais le droit de porter culottes !
    — Vous n’avez pas de mari? demanda Buonaparte.
    — Madame est demoiselle.
    — Et Barras me protège comme un paratonnerre !
    — Qui ne serait flatté de vous défendre ? dit encore Buonaparte.
    La Montansier tapota la joue creuse du général :
    — Demain, venez dîner chez moi tous les deux. Dès que la comédienne eut le dos tourné, Barras sourit :
    — Abrège tes compliments. Tu veux te marier avec elle ?
    — Il faut y réfléchir, citoyen représentant.
    — Elle a soixante-cinq ans.
    — Oh, la différence des âges, pendant les révolutions.
    — Tu as sans doute raison, tout ceci relève de formalités.
    — A propos, la dame a de la fortune?
    — Elle a son théâtre, quelques étages dans cette maison et celle d’à côté...
    — De l’or?
    — Plus d’un million de francs, et la Convention lui en doit un autre million. Tu sais, ce n’est pas n’importe qui. Quand la Révolution triomphait, dans son salon on croisait en même temps Robespierre et le duc d’Orléans, Marat y avait discuté de diplomatie avec le marquis de Chauvelin, Saint-Just y faisait sa cour à Mademoiselle Rivière, une actrice bien tournée qui lui a préféré Vergniaud. On parlait de guerre et de comédie, on préparait des émeutes sur le canapé bleu délavé tandis que, deux chaises dorées plus loin, en buvant du punch, d’autres montaient un spectacle plus ou moins républicain...
    La Montansier. Elle était née à Bayonne et s’appelait Marguerite Brunet, mais au retour d’un voyage manqué aux Amériques elle avait emprunté le nom d’une parente, marchande à la toilette de la rue Saint-Roch qui l’avait hébergée. Elle se lança dans la comédie, joua devant le roi, plut à la reine, ouvrit un théâtre au Palais-Royal, la salle de

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