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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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avait du tapage dans les couloirs. Saint-Aubin replia aussitôt le texte dans sa poche. Des bruits de pas, la voix irritée du général :
    — Tu avais promis de m’appuyer!
    — Mais je t’ai appuyé, général...
    — Bien mal !
    — J’ai insisté sur ton zèle et ton exactitude...
    — Tu as provoqué un résultat inverse à celui que j’espérais !
    Buonaparte entra dans la mansarde avec Pontécoulant. Il balaya de la main des rouleaux de cartes rangés sur sa table sans un regard pour Saint-Aubin, réduit à l’état de meuble, qui finit par déchiffrer le pourquoi de la querelle. Constantinople réclamait à la Convention des officiers d’artillerie : la Turquie du sultan Selim voulait s’armer contre la Russie menaçante, alliée de l’Autriche. C'était pour la France un moyen supplémentaire de contrer l’expansion de l’empereur François II. Buonaparte s’était proposé. Devenir un officier supérieur de l’antique Byzance, s’y faire un nom, une fortune, y demeurer peut-être comme un calife, y installer sa famille, il avait tout organisé: il emmènerait des aides de camp dont Junot, la Commission des relations extérieures lui verserait en argent six mois d’appointements pour les frais, on lui enverrait de Paris une caisse d’instruments de mathématiques et de dessin, des livres d’artillerie. A cause du maladroit Pontécoulant tout était manqué et Buonaparte froissait la réponse négative qu’il venait de recevoir : « Le Comité de salut public doit se refuser à éloigner, dans ce moment surtout, un officier aussi distingué. »
    Pontécoulant avait l’air sincère et désolé, mais Buonaparte ne décolérait pas :
    — Qu’est-ce que c’est, dis-moi, qu’est-ce que c’est qu’un artilleur sans canons ? Un pitre!
    — Tu es un spécialiste de l’Italie, général, tu le prouves chaque jour dans tes directives que nous envoyons à Kellermann...
    — Kellermann ? Il s’en fout de mes directives !
    Il jeta dans la cheminée éteinte la réponse du Comité de salut public roulée en boule et se mit à crier :
    — On cherche à m’étouffer !
    — Kellermann...
    — Celui-là, il ne bouge pas, il digère et il dort dans sa maison de Nice, il néglige ses troupes qui vivent de rapines et vont finir par se faire détester de la population! Donne-les-moi, ses vauriens, et j’en fais une armée!
    — Ce n’est pas en mon pouvoir, je le déplore.
    — Je ne vais tout de même pas passer ma jeunesse entière le cul sur une chaise, à monter des stratégies que personne n’exécute!
    — Pour l’heure...
    — Je sais ! Pour l’heure, patience. Patience, vous n’avez que ce mot, patience! Et les Autrichiens, pendant ce temps? Ils se gobergent en Italie et raillent nos soldats ! Pourquoi diable faut-il être une baderne pour mener une armée? Non, mener n’est pas le bon mot, l’armée d’Italie n’existe pas!
    Buonaparte marchait de long en large dans la petite pièce. Il vit Saint-Aubin assis derrière sa table :
    — Qu’est-ce que tu attends ?
    — Vous.
    — Eh bien décampe. Je ne suis pas d’humeur à inventer des plans de campagne inutiles.
    A la fin du mois d’août, la nouvelle Constitution était enfin rédigée : « Les droits de l’homme en société sont la liberté, l’égalité, la sûreté, la propriété... » Le mot fraternité avait disparu et un système d’élection à deux degrés remplaçait le suffrage universel en favorisant les propriétaires et les nantis. Cette Constitution aurait été acceptée, même imparfaite, tant on avait envie d’un régime stable et d’hommes neufs, mais les conventionnels, cramponnés à leur pouvoir, avaient ajouté un décret pour préciser que les deux tiers de la future majorité seraient choisis dans leurs rangs. Ils pensaient ainsi empêcher l’Assemblée de basculer franchement à droite.
    Alors Paris se mit à gronder.
    Dans les rues régnait un calme apparent, chacun allait et venait à ses affaires ou à ses plaisirs; la contre-révolution se préparait cependant sous les yeux des Comités. Espagnols, Suisses, Anglais, des étrangers en nombre remplissaient les hôtels garnis de la capitale. Des émigrés revenaient par le Jura ou par le Nord. Au Palais-Royal on croisait des hommes et des femmes vêtus de l’habit gris des chouans. Les journaux calomniaient la Convention, les murs se couvraient d’affiches, l’un demandait un roi et un autre l’anarchie. Un marchand de figures en plâtre,

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