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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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trichait aux cartes et se prêtait volontiers à des improvisations comiques dans les salons : il imitait les députés les plus risibles et des généraux ventripotents, à califourchon sur une chaise. Cet été-là, son nouvel emploi lui permit de déménager au cœur de Paris, rue des Fossés-Montmartre, à deux pas de la place des Victoires; il y avait déniché un appartement meublé à l’ Hôtel de la Liberté qu’il payait soixante-douze livres par mois.
    Son tailleur l’y attendait. Grâce à Barras (et à Madame Tallien chez qui il était allé quémander) il avait reçu un bon illimité sur l’ordonnateur Lefebvre; celui-ci lui fournit de quoi s’habiller sur les magasins de la République : vingt et un mètres de drap bleu, quatre mètres de drap rouge et presque autant de blanc, de quoi se tailler des redingotes et des gilets, sans oublier des épées et des pistolets parmi les plus beaux d’un lot sans doute confisqué aux ci-devant nobles.
    Le général essayait chez lui ses nouveaux uniformes. Il croisait les bras devant la grande glace qu’avait achetée Junot, expérimentait des postures, encouragé par le tailleur qui vantait son travail. Puis il reprenait sa défroque de civil pour traîner dans Paris avec son aide de camp. Ils dînaient souvent ensemble dans des cabarets proches du Louvre, pour écouter les conversations et mesurer la colère du peuple.
    Ils assistèrent un soir à une étrange bagarre. Au milieu d’un cercle de badauds qui battaient des mains et riaient beaucoup, deux hommes se prenaient aux cheveux, l’un avait l’œil poché, l’autre sa veste craquée aux coutures, et ils se roulaient dans la poussière sous les éclats de rire. Buonaparte ne comprenait pas ce qu’il y avait de drôle et en fit la réflexion à Junot; une fille à perruque rouge avait entendu :
    — Citoyens, quand les agioteurs s’empoignent, c’est bon signe.
    L'un avait acheté à l’autre une bonne provision de sucre, or le sucre avait baissé et il avait perdu une forte somme; il en accusait son vendeur. Certaines denrées coloniales baissaient, oui, mais tout le reste augmentait : « Ah, Monsieur ! Ce chapeau que j’avais payé quatorze livres, je ne pourrais plus me l’offrir aujourd’hui, il en vaut cinq cents! » Voilà l’ensemble des conversations que surprenait Buonaparte : les gens ne parlaient que de la vie chère et ils redoutaient l’hiver qui s’approchait : pourraient-ils payer du bois ou du charbon pour se chauffer ?
    Le climat s’alourdissait.
    Buonaparte savait que la Convention louvoyait, que la prochaine Constitution sur laquelle elle travaillait en sortirait bancale. Les représentants voulaient se maintenir au pouvoir. Avec quel soutien? Les faubourgs? Désarmés. La bourgeoisie de la garde nationale? A cause des cinq mille exécutions ordonnées par Tallien après Quiberon, elle méprisait la Convention. Ne restait que l’armée. Buonaparte était général, ses chances grandissaient à mesure que la situation se dégradait.

CHAPITRE IV
    Les canons
    Il s’imaginait rebelle, Saint-Aubin, cependant il avait obéi au général Buonaparte et se rendait à son bureau des Tuileries en habit discret; il avait compris que son appartenance à une commission officielle ne le sauverait pas s’il gardait en ville ses tenues provocantes de muscadin, mais il conservait comme un signe de ralliement cette cravate verte qui rappelait la couleur du bibi de Charlotte Corday et la livrée du comte d’Artois. Les soirées se ressemblaient. Buonaparte plongeait le nez dans ses cartes, consultait des rapports, dictait; Saint-Aubin notait avant d’améliorer ses discours au propre; le jeune homme finissait par s’attacher à ce général distant et froid, après tout celui-ci avait étudié à l’école militaire de Brienne à l’époque de la monarchie, et il n’avait participé qu’en paroles aux excès de la Révolution. Ponctuel comme un soldat il arrivait à cinq heures, mais aujourd’hui Saint-Aubin se morfondait : où était Buonaparte ? Pour passer le temps, il relut la déclaration de Louis XVIII, datée de Vérone, que ses amis et lui distribuaient dans les cabarets populaires ou plaçaient dans les paniers des fruitières de la Halle. Le nouveau roi voulait rassurer : « Tous les Français qui ne sont devenus coupables que parce qu’ils se sont trompés, loin de trouver en nous un juge inflexible n’y trouveront qu’un père plein d’indulgence... »
    Il y

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