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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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des corbeilles de fleurs et les statues de pierre déplacées du jardin d’Orsay pour embellir ce lieu public que le public boudait, parce qu’il était trop apprêté, parce qu’on ne savait où s’asseoir sans abîmer l’herbe et les plates-bandes. Au-dessus des orangers et des lauriers, sur la terrasse des Feuillants que bordait une balustrade, autour de la statue de Jean-Jacques Rousseau en robe de chambre, une nombreuse assemblée de gueulards dansait en titubant au son d’une Carmagnole que jouaient des flûtes. Saint-Aubin crut reculer dans le temps; il revécut en un éclair l’épouvantable époque de la Terreur en apercevant ces accoutrements, ces faciès, ces voix rauques et avinées. Des jacobins en bonnets phrygiens portaient des fusils et buvaient de l’alcool au goulot, joyeux comme s’ils avaient repris le pouvoir. A ce spectacle, Saint-Aubin retint un moment son cheval. De là-haut, penché, une espèce de géant le regardait; il avait le crâne ras, une moustache en hérisson. A ce regard de diable, à sa taille, à ces narines comme des naseaux, il croyait reconnaître le serrurier Dupertois, mais il était cinq heures du soir, Buonaparte allait l’attendre. Comme il voulait tourner à droite du château, longer les quais pour rejoindre le Carrousel et l’entrée principale des bureaux, des sentinelles l’arrêtèrent en croisant les baïonnettes ; leur lieutenant demanda :
    — Où vas-tu, citoyen ?
    — A la Commission des plans de campagne où je travaille.
    — Tu n’as pas le droit de monter à cheval dans les jardins.
    — Je ne savais pas.
    — Tout le monde le sait.
    — Pas moi, Monsieur l’officier.
    — Monsieur ? Pourquoi pas Votre Altesse? plaisanta l’un des grenadiers.
    — Ceux qui travaillent au château le savent, disait le lieutenant en toisant Saint-Aubin.
    — Peut-être que le citoyen ne travaille pas vraiment pour les Comités ? dit le même grenadier goguenard.
    Le lieutenant tourna autour de Saint-Aubin, avisa la carabine attachée à la selle :
    — En civil et avec une arme militaire ?
    — Rien n’interdit de porter une arme.
    — Ça dépend.
    — Je vous dis que j’appartiens à une Commission du Comité de salut public, et que mon général m’attend, et qu’il déteste les retards !
    — Tout doux! ne monte pas le ton. Comment qu’il s’appelle, ton général ?
    — Nabulione Buonaparte.
    — Un Italien ?
    — Un Corse.
    Le lieutenant regarda de près le tapis de selle et siffla :
    — Houlà! Une selle de chasseur...
    — Je n’en ai pas trouvé d’autre.
    — Ben voyons... dit l’un des grenadiers qui tirait sur sa moustache pointue.
    — Des convois sont attaqués tous les jours, reprit le lieutenant. Tous les jours des royalistes nous volent de la farine, des chevaux et des armes. Je n’ai pas raison de t’interroger là-dessus ?
    — Ce n’est pas mon problème, lieutenant.
    — Ah si! c’est le problème de tous les vrais républicains.
    — Vous me suspectez ?
    — La carabine, la selle, le cheval, ça plaide pas pour toi, hein ?
    — Je vous répète qu’on m’attend!
    — Descends.
    Saint-Aubin descendit en soupirant de sa triste monture :
    — Et maintenant ? Vous allez interroger le cheval ?
    — Maintenant on t’emmène au Comité de sûreté générale.
    — Vérifiez d’abord ce que je vous dis !
    — Là-bas ils vérifieront, s’ils veulent.
    — Mon général va vous casser! Et c’est un proche de Barras !
    Le nom du vicomte fit hésiter le lieutenant, qui n’aimait pas les ennuis. Si ce péquin disait vrai? A quoi bon prendre des risques? Il réfléchit un court instant, puis, à ses grenadiers :
    — Choupard, Martin, encadrez ce bourgeois, on va le conduire devant son soi-disant général je-ne-sais-plus-quoi. Les autres, en mon absence, restez vigilants.
    Et Saint-Aubin, entre ses deux grenadiers, suivit le lieutenant. Ils entrèrent aux Tuileries par les baraquements du corps de garde, grimpèrent aux étages jusqu’au bureau de la Commission où Buonaparte, à sa table, gribouillait sur des feuilles les notes que lui seul saurait déchiffrer. Le général leva le nez et considéra l’intrusion des soldats et de leur prisonnier avec mauvaise humeur; il indiqua du doigt la pendule :
    — Il est cinq heures passées, Saint-Aubin.
    — Comme vous le constatez, général, j’ai été retenu.
    — Mon général, dit le lieutenant au garde-à-vous, vous connaissez donc ce personnage ?
    — Mon secrétaire? Bien

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