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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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bibliothèque.
    — Merci, Nicolas.
    Pour installer des vestiaires, des tables et des buffets chargés de dindes aux truffes et de roast-beef saignant qu’un maître d’hôtel tranchait d’une main exercée, les caisses, les sacs, les meubles, les bibelots, les tableaux à revendre avaient été déménagés dans les étages où les Delormel devaient circuler au travers d’un labyrinthe s’ils voulaient regagner leurs chambres. Rosalie avait l’œil à tout et souriait à tous. Ce sourire persista sur ses lèvres quand elle vit Saint-Aubin, mais il était de composition car elle lui parla rudement en continuant clins d’yeux et saluts complices à un officier en grande tenue ou à une déesse de pacotille dévêtue comme elle en mousseline de soie. Rosalie avait ce soir des cheveux noir corbeau et bouclés :
    — J’étais si inquiète...
    — Tu es née inquiète.
    — Où te cachais-tu pendant trois nuits ?
    — La section LePeletier s’est déclarée en permanence. J’y étais, et bien peu caché.
    — Tu y as dormi ?
    — Nous avons dormi comme des soldats, sur des lits de camp, une heure ou deux, chacun à notre tour.
    — Tu dois être affreusement crasseux!
    — Il n’y a pas que les bals.
    — Je le regrette.
    — Voyons, Rosalie! L'armée campe aux portes de Paris !
    — Pour nous protéger des excès. Je n’y vois aucun mal.
    — Tu ne vois rien ! Tu ne comprends rien ! Tu es folle.
    — Moins folle que toi, pauvre chéri, dit-elle avec un rien de mépris dans la voix mais en maintenant son sourire mondain.
    Il bouscula un cercle de causeurs plantés devant un buffet, qui renversèrent du thé sur les tapis, et quitta les salons. Au bout d’un corridor il ouvrit sans bruit la porte de la bibliothèque. Sur les rayons ne s’étageaient que des ouvrages scandaleux reliés en maroquin rouge. Des bûches entrecroisées brûlaient dans la cheminée, et devant, au fond d’un fauteuil Voltaire, le représentant Delormel tenait un livre ouvert de la main gauche et sa femme de chambre sur les genoux. Etait-ce la chaleur du feu de bois ou son excitation, il avait le teint rougeoyant, la voix expirante :
    — L'héroïne est comme toi, Christine.
    — Comme moi quoi, Monsieur ?
    — Rustique, avec un accent de sa province.
    — J’suis de Paris.
    — Il y a aussi un accent, à Paris. Passons. Nous sommes dans une petite rue de Londres, derrière Covent Garden. Fanny a rencontré un gentleman. Je te lis. C'est elle qui parle : « Il insinua sa main entre mon fichu et mes seins, qu’il mania à discrétion... »
    — J’ai pas d’fichu, Monsieur, et votre main, là, elle est plus bas à fourrager sous mes jupes.
    — Tu n’y connais rien à la littérature!
    — La littérature c’est ça ?
    — C'est ça! La Fille de Joye , édition de 1751, traduit de l’anglais.
    — Les Anglais, chez nous...
    — Allez ! cours à ton service !
    Christine rajusta ses jupes et se dépêcha à l’office.
    — L'idiote ! grognait Delormel.
    Saint-Aubin toussota. Le député tourna la tête :
    — Tu étais là, toi ?
    — Monsieur Delormel, vous me devez des explications.
    — Si c’est tout ce que je te dois, ça va, ce n’est pas trop cher. Je t’écoute.
    Le représentant se leva et redressa une bûche qui venait de glisser avec le tisonnier et la pelle. Il écrasa de ses pantoufles les étincelles tombées sur le tapis oriental qu’il avait longuement marchandé.
    — La Convention est hors la loi, dit Saint-Aubin.
    — Ah bon ? Depuis quand ?
    — Depuis qu’elle a appelé l’armée pour que le peuple avale sa Constitution et ses honteux décrets !
    — Quel est-il, ce peuple dont tu me casses les oreilles ? Une majorité de Français a déjà accepté la nouvelle Constitution. Il veut la paix, le peuple.
    — Jusqu’aux élections, la Convention ne doit se mêler que de l’administration. Elle n’a pas à gouverner. L'armée? mais c’est un coup d’Etat!
    — Comme tu y vas...
    — Qui sont ces jacobins soûlards, dans le jardin des Tuileries ?
    — Des volontaires. Le bataillon sacré des patriotes de 89. Ils sont émouvants, tu sais. Quand on leur a distribué des armes, un vieillard a embrassé son fusil en disant : « Je suis donc encore libre. »
    — Comédie! J’y ai reconnu des assassins !
    — Tu affabules.
    — Dupertois, le serrurier, le meurtrier de Féraud.
    — Il a été guillotiné.
    — Mais qui défendez-vous, avec vos mensonges ?
    — Ma fortune, mon petit, ma fortune dont tu

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