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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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sûr ! Qu’a-t-il fait pour mériter cet équipage ?
    — Dans le jardin, là où on n’a pas le droit, il montait un cheval de l’armée, et ça m’a paru pas normal.
    — C'est mon cheval.
    — Ah ? Et il portait aussi une carabine militaire...
    — Il faudra la lui rendre. Le soir, les rues sont incertaines, il y a des muscadins, des brigands.
    — La carabine, elle est déjà remisée à cette heure dans l’armurerie du corps de garde, pour la récupérer faut des papiers, des signatures...
    Buonaparte se leva, sortit de sa ceinture l’un des élégants pistolets dont l’ordonnateur Lefebvre lui avait donné un lot. Il le tendit par le canon à Saint-Aubin, qui le prit, plutôt étonné d’une telle marque de confiance, une arme superbe, avec une crosse incrustée de nacre et une phrase gravée en lettres déliées sur le canon : Souvenir d’amitié . Les mains dans le dos de sa vilaine redingote grise qu’il n’avait pas enlevée, Buonaparte commanda au lieutenant très pâle :
    — Escortez le citoyen chez lui. Il habite dans l’hôtel du représentant Delormel et vous indiquera le chemin. Je ne veux pas qu’en route il fasse d’autres mauvaises rencontres.
    Les jours gris de fin septembre, la nuit tombait vite. Tenant une lanterne à bout de bras, le lieutenant raccompagna en personne Saint-Aubin rue des Deux-Portes-Saint-Sauveur. Pendant le trajet il s’excusait sur un ton désolé : « Les apparences, elles me servaient pas, hein ? Faut dire, citoyen secrétaire, que je me plie à des ordres, moi, et je risquais pas de deviner. Quand j’avise un bourgeois qui chevauche là où c’est pas permis, eh bien je l’arrête, hein ? » Le jeune homme n’écoutait pas, il réfléchissait en tripotant dans la poche de sa redingote le pistolet offert par Buonaparte; il cherchait la raison de ce cadeau spontané. Le général était d’ordinaire plutôt sec, démonstratif parfois, mais dans la colère ou l’évocation de la lumière italienne. Il s’était renseigné sur l’homme. Dussault l’avait aidé, lorsqu’il travaillait pour Fréron qui connaissait à la perfection la famille Buonaparte : à Marseille, le représentant en mission était tombé amoureux de Paoletta, la petite sœur volage du général; la jeunette s’était laissé caresser, elle envoyait encore des billets sans retenue à ce galant si bien considéré en haut lieu : ti amo sempre, per sempre amo, sbell’idol moi, sei cuore tio, ti amo, amo, amo ... Fréron avait ainsi raconté les origines de ce clan où il espérait toujours entrer. Au sud, Buonaparte était un nom très répandu, d’abord un prénom, voire un sobriquet comme Espère-en-Dieu. Pour que Napoléon, à dix ans, soit admis à l’école royale militaire, où l’on n’admettait que les nobles, son père Charles avait dû fourbir un arbre généalogique. De sa main, pour garantir la carrière de son fils, il avait expliqué que leur ancêtre Giamfardo avait prêté serment en 1219 à l’évêque de Luni, qu’on trouvait des Buonaparte en Toscane, que lui-même avait étudié à Pise et que l’archevêque de cette ville lui avait accordé un titre, mais le blason produit restait peu vraisemblable, Charles dut le maquiller, modifier de l’azur en or pour éviter un fâcheux couleur sur couleur; l’industrie de la fausse généalogie marchait fort à la fin du XVIII e siècle. En réalité, les Buonaparte semblaient venir du Péloponnèse, de cette région où vivaient les Maniotes, héritiers de l’ancienne Sparte qui essaimèrent à Florence, à Gênes et près d’Ajaccio. Un oncle du général, Agesilas Calimeri, avait même été pirate dans le détroit de Messine jusqu’au cap Matapan; et Napoléon était le nom d’un martyr grec...
    — Nous y sommes, citoyen secrétaire.
    Le lieutenant prit congé avec cent courbettes et laissa le jeune homme devant le portail ouvert à deux battants de l’hôtel Delormel. Des voitures de tous les modèles s’imbriquaient dans la cour et les postillons grelottaient sur leurs bancs. Le rez-de-chaussée était illuminé, des silhouettes élégantes passaient et repassaient devant les portes-fenêtres ou derrière les voilages. Saint-Aubin marcha entre les fiacres et les carosses jusqu’au perron où le majordome attendait les invités, entre deux valets frigorifiés qui levaient des flambeaux. Il salua Saint-Aubin :
    — Madame donne un thé, Monsieur, et si Monsieur veut voir Monsieur, Monsieur est dans sa

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