Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
Vom Netzwerk:
apprendre.
    — J’oubliais votre dévouement, mais avouez, quand même, que votre bonhomme a l’air si jacobin...
    — Rassurez-vous, dit Buonaparte avec une voix méchante. Mon parapluie n’est pas chargé.
    Saint-Aubin l’emmena jusqu’à sa table en plein courant d’air sous le péristyle, qu’il nommait son bureau. Il s’assit sur sa chaise et le général sur une caisse.
    — Pourquoi venir ici à minuit, général ?
    — Pour rencontrer un responsable. Si cela existe.
    — Responsable de quoi ?
    — De la mise en fiche des habitants du quartier.
    — J’ai accès à ce genre de liste.
    — Ecoute-moi. Ce soir, des citoyens de ton bord...
    — Evitez ici le mot citoyen , c’est une insulte.
    — Des jeunes crétins cravatés jusqu’au nez, si tu préfères, ont voulu inscrire sur leur cahier un homme qui se meurt.
    — Tous les habitants du quartier sont appelés à s’enrôler.
    — Même les moribonds ? Celui-là, tu vas le barrer de ton fichier. Il s’appelle Permon, rue de la Loi.
    — Je vous le dois, général, comme ça nous serons quittes.
    Buonaparte remarqua le pistolet qu’il avait offert au jeune homme, il donna une chiquenaude sur la crosse ouvragée qui dépassait de sa ceinture :
    — Tu as pris mon pistolet pour un cadeau d’adieu ?
    — Je vous raccompagne comme vous m’avez fait raccompagner.
    — J’habite tout près.
    — Rue des Fossés-Montmartre, je sais.
    Ils descendirent la rue Vivienne, très animée, le général tenant comme une canne le parapluie qu’il avait emprunté au docteur Duchaunois. Il y avait une animation fébrile, cette nuit-là, après l’averse. Chacun s’empressait, se parlait, courait; on levait des torches ou des lanternes attachées à des balais, des frappeurs de tambour empêchaient les bourgeois de dormir, les fenêtres s’éclairaient, on s’appelait. Place des Victoires, un détachement d’infanterie fermait le passage vers le Palais-Royal et les rues qui menaient aux Tuileries. L'armée affirmait sa présence. Les boulevards, les Champs-Elysées, la plaine des Sablons étaient remplis de troupes de ligne. Les Liégeois et les Brabançons des régiments de Saint-Omer avançaient vers la capitale. Jusque-là, Buonaparte donnait peu de chances aux insurgés si la Convention leur opposait des professionnels, mais cette nuit il doutait. Le bataillon des anciens jacobins qui campait sur la terrasse des Feuillants mobilisait contre lui les citoyens paisibles, auxquels les royalistes prédisaient une nouvelle Terreur. Cette aversion était forte. Des grenadiers de la section du Mail discutaient avec les soldats :
    — Que la Convention désarme les terroristes ! disait un sectionnaire qui tenait son fusil à deux mains.
    — Nous ne voulons pas des terroristes! répétait en écho un négociant embarrassé d’un long sabre.
    — Des terroristes? s’étonnait le capitaine. Nous n’en avons point avec nous, et nous n’en voulons pas non plus.
    Soldats et rebelles se donnaient la main. En les voyant amis, Buonaparte se demandait s’il devait rester auprès de Barras. Déjà, la veille, il avait confié à Junot : « Si les Parisiens me prennent pour chef, je les emmène aux Tuileries en deux heures, et nous chassons les conventionnels. »
    — A quoi songez-vous, général? lui dit Saint-Aubin.
    — A rien.
    Et il rentra lire à la chandelle, comme une discipline, des pages choisies dans les Vies des hommes illustres de Plutarque, mais il avait l’esprit vagabond et réfléchissait à son destin en survolant sans scrupules celui de Jules César.
    Saint-Aubin dormait sur une table du réfectoire, la tête contre un sac, quand un tambour le réveilla sans douceur : il battait sa caisse devant la porte grande ouverte sur le péristyle et laissait entrer un air froid. Le jeune homme s’assit en bâillant, les bottes pendantes, il s’étira, posa un regard brouillé sur la salle; dans une lumière pâle, ses compagnons se levaient à leur tour d’une courte nuit, ils soufflaient leur haleine chaude sur des doigts engourdis, se frottaient les yeux, se massaient les reins, plus habitués aux matelas de plumes qu’aux planches rêches, courbatus, fripés. Saint-Aubin passa la main sur son menton qui piquait, mais qu’importaient les coquetteries, il se savait en guerre et se raserait plus tard. C'était le matin du dimanche 4 octobre. Dussault arriva dans la salle d’un pas résolu, au moment où le tambour s’en allait réveiller plus loin

Weitere Kostenlose Bücher