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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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    Un homme en toque de fourrure, dans une pelisse, leur avait ouvert avec méfiance.
    — Section LePeletier, répondit Dussault en ôtant son bicorne pour saluer le locataire.
    — Venez avec nous empêcher une nouvelle Terreur, ajoutait Saint-Aubin en saluant à son tour.
    — Quelle Terreur ?
    — Vous l’ignorez donc? La Convention veut jeter sur les Parisiens ces jacobins que nous avons chassés, ils vont semer le désordre, égorger nos femmes et nos enfants comme au temps maudit de Robespierre !
    — C'est bien vrai, tout ça ?
    — Hélas ! Venez, nous vous donnerons un fusil et de la poudre fine.
    — Je suis qu’un tapissier, Messieurs, et sans trop de travail par ces temps, alors donnez-moi plutôt du bois, on gèle ici, ma pauvre femme et mes deux mioches ils passent leurs journées et leurs nuits dans le lit à se serrer sous des couvertures même pas chaudes.
    — Vous aurez aussi du bois.
    — Mais je vois pas clair de loin, savez-vous, comment je pourrais tirer avec votre fusil, moi ?
    — Prêtez-nous au moins vos fenêtres.
    — Que je vous prête mes fenêtres ?
    — Nous allons y placer des tireurs.
    — Mais les soldats vont les voir, vos tireurs, ils vont monter chez moi et j’aurai des ennuis...
    Dussault ouvrit une fenêtre et se pencha ; le tapissier grelottait au vent glacial qui rentrait dans la pièce.
    — Du troisième étage, Saint-Aubin, on peut prendre la rue Vivienne en enfilade.
    — En enfilade? répétait le tapissier qui claquait des dents.
    Dussault posa deux pièces d’or sur la table. Le tapissier regarda ce trésor en louchant :
    — Pour moi, ça ?
    — Pour louer vos fenêtres.
    — D’accord, juste aujourd’hui...
    Les immeubles de la rue Vivienne se garnissaient ainsi de sectionnaires armés. Des cheminées aux fenêtres surgissaient des canons de fusil. Sortant de cet immeuble, les deux muscadins tombèrent sur les hommes qu’envoyaient au couvent des Filles-Saint-Thomas les sections Brutus, du Mail et des Lombards. Ils se prirent dans les bras avec effusion. Un imprimeur de la rue du Bouloi menait une escouade de bourgeois, fusil de chasse sous le bras ; il livra des informations sur les sentiments de l’armée; il les tenait de bonne source puisque son beau-frère, un épicier, avait ravitaillé ce matin même le camp des Sablons :
    — Vous voyez qui c’est, le général Desperrière ?
    — Non, avouèrent ensemble Dussault et Saint-Aubin.
    — C'est l’adjoint de Menou, et Menou...
    — Là on sait, il commande la garnison de Paris.
    — Voilà. Desperrière est tombé malade tout d’un coup.
    — Qu’est-ce qu’il a ?
    — Il a peur.
    — Peur de quoi ?
    — Peur de nous.
    Le beau-frère de l’imprimeur ne croyait pas à cette maladie soudaine, qui évitait au général de conduire ses troupes à l’assaut des sections. On l’avait vu très alerte et frais comme l’œil, peu avant qu’il annonce ces fièvres qui le clouaient dans son lit. Et cet officier n’était pas le seul dans son cas. Beaucoup rechignaient à combattre les rebelles et refusaient de sortir du camp des Sablons avec leurs soldats. Sectionnaires et muscadins retournèrent donc de bonne humeur à l’intérieur du couvent où la défense s’organisait. Encouragé par les propos de l’imprimeur, certain que l’armée n’allait pas attaquer dans l’heure à venir, Dussault proposa à son ami de passer chez lui, à quelques rues de là :
    — D’abord j’ai des provisions, et nous avons le ventre à peu près vide, il faut reprendre des forces, et puis vous choisirez dans ma garde-robe de quoi vous refaire une silhouette, cher Saint-Aubin.
    — Je vous suis. Vous avez raison : si nous devons ce soir tomber sous les balles des terroristes, tombons avec élégance.
    Disant ceci avec emphase, comme au théâtre, Saint-Aubin n’y croyait pas. Mourir comme un lapin, tiré par la piétaille de la Convention, il n’imaginait même pas la scène et croyait à leur victoire.
    A la tombée du jour, les façades du couvent et des rues alentour s’éclairaient d’une multitude de bougies, lanternes, flambeaux, de lampions multicolores récupérés par les muscadins dans les salles de bal et les jardins où ils dansaient depuis la chute de Robespierre. Il s’agissait, même en devenant des cibles, de voir les éventuels assaillants pour bien les ajuster. L'attente fut longue, exaspérante; certains exaltés du matin rentrèrent même se coucher. Pommadé, ganté de jaune, un

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