Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
Vom Netzwerk:
d’autres partisans endormis. Dussault était très frais, rasé, parfumé, poudré, avec sa redingote des grands jours, rayée à la verticale de rose et de blanc, que coupait la lanière de sa giberne en cuir souple; il agitait ses mains blanches et fines dans des manchettes de dentelles : « Ecoutez, Saint-Aubin, écoutez les tambours dans Paris. Deo gratias ! Nous y sommes! Debout ! et debout vous autres! »
    La bande des endormis suivit Dussault dans le jardin en friche du couvent, traînant un fusil ou enfonçant un pistolet dans sa ceinture. Des gardes nationaux en guêtres blanches, des muscadins, des bourgeois du quartier venus en renfort déménageaient parmi les broussailles les bancs de la chapelle, portaient des armoires, un confessionnal, des montants de lit, des chaises, des prie-Dieu. Il y avait du vent d’ouest et de la pluie. La section LePeletier appelait aux armes contre la Convention. Les tambours dont parlait Dussault n’arrêtaient pas de battre le rappel et se répondaient sur les deux rives de la ville. Des églises, les curés sonnaient le tocsin. Le couvent se transformait en camp fortifié. Chacun participait dès le réveil à la construction des barricades qui devaient fermer l’accès des rues adjacentes aux troupes de ligne. Le bruit avait couru : les Comités allaient envoyer l’armée pour déloger les rebelles et s’emparer de leurs chefs.
    — A moi, Saint-Aubin ! ça glisse !
    Dussault tenait par-dessous une armoire massive que trois gaillards l’aidaient à soulever, l’un avec son dos contre les portes, deux autres en l’entourant de leurs bras sur les flancs. Saint-Aubin se baissa pour soulager Dussault qui lâchait prise : dieu que ce meuble était lourd; son bicorne en demi-lune tomba dans l’herbe et il se cassa un ongle; avec des efforts dignes d’un lutteur de foire, ils réussirent à poser l’armoire sur un haquet et, tirant et poussant tous les cinq, la roulèrent jusqu’à la rue des Filles-Saint-Thomas. Plus loin sur leur gauche, à l’angle de la rue de la Loi, un chariot renversé et des bancs indiquaient un début de barricade. Meubles et pavés s’accumulaient sans ordre. Un maniéré, navré de salir ses bas de soie et ses escarpins à boucles, portait deux chaises qu’il déposa délicatement à la base de l’entassement. Un fleuriste et un notaire en uniformes déjà boueux de gardes nationaux enchevêtraient avec science les éléments disparates qu’on leur amenait pour consolider la muraille.
    — Les bancs, montez-les en escaliers, que les tireurs puissent s’y poster, expliquait un journaliste qui avait lu des ouvrages savants sur la Fronde et s’imaginait donc un spécialiste des émeutes parisiennes.
    Le confessionnal fut compliqué à hisser, il fallut des cordes, des ceinturons, des étais, et on s’y reprit à vingt fois pour qu’il colmate enfin l’espace entre la montagne d’armoires et le chariot couché. Il y eut d’autres ongles cassés, des genoux écorchés, des reins endoloris, des poignets foulés, des chevilles tordues à cause de ces prouesses physiques que beaucoup de muscadins réservaient d’ordinaire aux maraîchers de la Halle ou aux charpentiers. Une Bretonne à cheveux courts, vêtue comme un homme avec une veste et des bottes à revers, jouait la cantinière; elle distribuait aux travailleurs improvisés les boules de pain qu’elle apportait dans ses paniers, et derrière elle, un garçon de café des boulevards roulait un tonneau de vin. Saint-Aubin et Dussault s’assirent fourbus sur des chaises humides posées sur le pavé, ils se partagèrent un pain que mouillait une pluie fine. Ils étaient satisfaits :
    — Elle commence à prendre une tournure, notre barricade.
    — Eh oui, mon cher, mais au détriment de nos costumes.
    Ils rirent en se regardant. Leurs culottes de nankin godaient aux genoux et ils avaient noué à la taille les interminables basques de leurs habits pour qu’elles ne pendent pas dans les flaques. Après l’édification de la barricade, les deux amis trouvèrent une mission moins pénible, mieux dans leurs compétences, qui ne salirait plus leurs redingotes ; ils devaient grimper aux étages des maisons proches, carillonner aux portes, persuader les indécis de rejoindre leur combat. Ils en étaient à leur vingtième refus mais persistaient en affinant leur discours car la cause du roi, qu’ils mettaient en avant, était moins populaire que prévu :
    — Que me voulez-vous

Weitere Kostenlose Bücher