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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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précieux cahier que le général leur jeta. Le cahier tomba dans la cage d’escalier; Buonaparte leur claqua la porte au nez avant qu’ils réagissent.
    — Il ne fallait pas, Napoléon, il ne fallait pas !
    Toujours plaquée contre la porte de son mari, Madame Permon était en pleurs, agitée de spasmes dans tout le corps. Le docteur prit la clef dans sa main en desserrant ses doigts crispés et fila auprès du moribond tandis que le domestique et le général soutenaient la malheureuse jusqu’à un fauteuil, en face de la cheminée. Elle était sujette à des crises nerveuses et on ne s’en alarmait pas davantage, comme si les rôles, dans ce cas, étaient répartis; Laure lui donna à la cuillère une potion calmante, Buonaparte lui frottait les mains, le domestique ravivait le feu avec des pages du Moniteur . Elle gémissait :
    — Il ne fallait pas, ils vont revenir en bande, ils vont tout casser, tout voler, ce pauvre Permon aura une attaque, son cœur va flancher, il a tellement peur, les massacres vont reprendre...
    — Calmez-vous, disait le général qui grelottait aussi mais à cause de sa redingote trempée qu’il n’avait pas eu le temps d’exposer au feu de bois. Calmez-vous. Je vais passer à la section et arranger cette affaire.
    Madame Permon continuait à se lamenter :
    — Tout est en feu dans Paris. Serons-nous jamais tranquilles ?
    — Notre Chat botté veille sur nous, disait Laure, accroupie près du fauteuil de sa mère.
    — Que peut Napoléon contre ces bandits ?
    Quand elle reprit une respiration normale, Buonaparte fit enfin sécher sa redingote sur le dos d’une chaise qu’il posa devant l’âtre. Il y présenta ses bottes qui empestaient le cuir mouillé, but la tasse de café noir que lui présenta le domestique et grignota une grappe de raisins sortie d’un compotier :
    — La pluie se calme. Je vais y aller, à cette foutue section.
    Saint-Aubin se consacrait à l’insurrection que préconisait la section LePeletier. Il avait oublié ce qu’il devait aux Delormel, traitait le député de corrompu et Rosalie d’écervelée. Il acceptait comme des vérités les affirmations de ses amis, qu’il colportait en se moquant des indécis et des tièdes. Il ne doutait plus de l’assassinat de Louis XVII, ni des chouans qui allaient ramener un roi; d’ailleurs le comte d’Artois levait une armée formidable, des prêtres et des nobles enrôlaient les paysans de la Beauce, il y avait des incidents et des morts à Chartres, Verneuil, Nonancourt. La France entière, croyait-il, maudissait la Convention. Hier, des députés de la commune de Dreux avaient fraternisé avec les sections rebelles de Paris, ils avaient proposé de s’occuper eux-mêmes du ravitaillement de la capitale en traitant directement avec les insurgés.
    Saint-Aubin ne quittait plus le couvent des Filles-Saint-Thomas. Sous le péristyle éclairé la nuit par des torchères, très sérieux dans son rôle de révolté, il tenait le registre des volontaires de sa belle écriture, réglait la distribution des armes et de la poudre volées dans les magasins de la République. Muscadins et gardes nationaux des sections acquises occupaient les anciens dortoirs, la chapelle, les parloirs du couvent où des orateurs entretenaient l’effervescence. On entendait des chants, des discours, des jurons, des slogans vengeurs. Des cavaliers qui portaient l’habit gris à revers noirs des chouans assuraient la liaison avec les autres sections et certifiaient que l’armée ne tirerait jamais sur les Parisiens.
    — Fusillez cet espion !
    — A mort le jacobin !
    A l’extrémité de la colonnade intérieure, des muscadins chahutaient un petit civil dont la mine leur déplaisait; l’homme était pourtant entré par le porche principal et les sentinelles l’avaient contrôlé, mais, avec sa redingote froissée et son parapluie, quelques enragés avaient cru identifier un agent du Comité de sûreté générale travesti en boutiquier. A la lueur mouvante et rouge des flambeaux Saint-Aubin reconnut Buonaparte. Il ferma son registre, se leva, marcha vers l’attroupement hostile :
    — Je connais cet homme.
    — Vous avez des fréquentations douteuses, Saint-Aubin.
    — C'est un général.
    — Tant mieux, nous en ferons un bel otage.
    — Il a refusé de mitrailler nos frères en Vendée. Les Comités l’ont écarté de tout commandement.
    — Vous en savez des choses.
    — J’ai travaillé aux Tuileries pour en

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