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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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stratèges que le général juge insignifiants. Il imagine : s’il offre ses services aux sectionnaires, qui ignorent tout de lui, il se retrouvera subordonné à Lafond, garde du corps sans connaissance de la guerre, ni même de la guerre civile, ou à Danican qui a voulu livrer Angers aux chouans, destitué, relégué à Rouen. Pour les insurgés, les convictions remplacent le talent et Buonaparte n’a pas la moindre chance de s’imposer chez ces amateurs. Et puis quoi? Mener au feu des bourgeois et des paltoquets mal préparés qui tiennent leurs fusils du bout des doigts et craignent la pluie ? Il veut voir Barras, qui sait sa valeur. Voici pourquoi il entre d’un pas résolu au Comité de salut public parmi une cohue d’officiers et de représentants qui s’affolent. Il se rend tout droit dans la chambre aux colonnes; sous la lumière blanche des lampes, derrière la fameuse table ovale qui a porté le corps à l’agonie de Robespierre, Barras étudie la carte détaillée du centre de Paris, entouré de généraux très républicains jusque-là en disgrâce, rappelés pour mater la rébellion bourgeoise et royaliste.
    Buonaparte se plante devant Barras qui lui dit d’une voix rude :
    — C'est à cette heure que vous arrivez ?
    Il le vouvoie pour établir une distance et confirmer sa mauvaise humeur.
    — J’attendais des ordres, répond Buonaparte.
    — Les officiers qui arrivent les premiers sont les mieux servis. Brune, Verdière, Carteaux sont à leurs postes. Les commandements sont déjà pris.
    — Que me proposez-vous ?
    Barras contourne la table et pousse Buonaparte à l’écart pour lui annoncer :
    — Tu seras l’un de mes aides de camp.
    Buonaparte espérait une autre responsabilité. Il pince les lèvres, baisse le nez, se dandine d’une jambe sur l’autre. Barras comprend son doute mais lui dit, plutôt brusque :
    — Tu as trois minutes pour choisir.
    — J’accepte.
    — Alors suis-moi, tu commences tout de suite.
    — Même en civil ?
    — Même en civil. Le temps presse.
    Barras prend son chapeau empanaché, boutonne sa redingote bleue cousue d’or et entraîne Buonaparte dans le réduit où est enfermé le général Menou, accablé, assis dans le noir sur l’un des cartons qui encombrent la pièce. Buonaparte tient un bougeoir pendant que Barras interroge le traître qui répond avec docilité :
    — A combien estimes-tu le nombre des insurgés ?
    — Ils sont huit fois plus nombreux que nous...
    — Beaucoup de sections n’ont pas rallié l’émeute.
    — Tu m’as demandé une estimation.
    — Et nous, nous disposons de combien d’hommes ?
    — Cinq mille.
    — Des canons ?
    — Il y en a à Marly. Et aussi aux Sablons.
    — Combien ? demande Buonaparte soudain passionné.
    — Quarante pièces.
    — Gardées ?
    — Par une trentaine d’hommes.
    — Tu veux des canons, général, comme à Toulon ? dit Barras à Buonaparte. Eh bien va les prendre et ramène-les aux Tuileries. Ils sont à toi.
    Il est minuit.
    Barras et Buonaparte quittent Menou après avoir bouclé son réduit à double tour. Un député nommé Delmas, qui s’était glissé derrière eux pour suivre l’interrogatoire, retient le général par la manche :
    — J’ai ton homme.
    — Pour quoi faire ?
    — Pour aller cueillir les canons des Sablons.
    — Qui est-ce ?
    — Un sabreur. Au printemps il a défendu la Convention avec ses cavaliers.
    — Quels cavaliers ?
    — Un escadron de durs à cuire. Les volontaires de Landrieux, ça te dit quelque chose ?
    — Rien.
    — Landrieux, un avocat à moitié médecin qui avait monté un drôle de bataillon, les hussards braconniers, pour rançonner les nobles en province.
    — Des brigands ?
    — Ce bataillon est devenu le 21 e chasseurs. Attends, je vais te chercher leur capitaine, tu verras, c’est l’homme qu’il te faut...
    Buonaparte n’a pas les moyens de refuser. Il se laisse faire. Delmas revient peu après avec le capitaine Joachim Murat, un beau gosse aux cheveux bouclés; avec son mètre quatre-vingts, il doit se pencher vers le petit général en redingote grise, mouillé de pluie, qui lui ordonne de filer dans la plaine des Sablons :
    — Ramène les canons. Si les sectionnaires s’en emparent les Tuileries sautent. Et nous avec.
    Murat part au galop au moment où Fréron revient au château avec une troupe de patriotes débauchés faubourg Saint-Antoine.
    La pluie ne cessait pas. Malgré le bruit régulier de l’averse frappant les pavés,

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