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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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par des idiots.
    — Une aubaine!
    — Pas du tout, ils peuvent réagir de façon très désordonnée, sans qu’on puisse prévenir leurs mouvements.
    — Eh bien disposons-nous avec science, comme aux échecs.
    — Je sais déjà où placer mes canons. Regarde, citoyen général : ici, ici, ici encore...
    Du doigt, Buonaparte désigne des points précis sur la carte. Il faut poster une batterie à la tête du Pont-Royal, une autre sur le quai du Louvre et au Pont-Neuf, balayer la rive gauche et l’issue de la rue du Bac, d’autres encore dans les rues qui conduisent aux Tuileries.
    — Et du côté des jardins? demande Barras. Si la Convention est débordée elle se repliera sur Saint-Cloud où convergent des régiments de réserve.
    — Nous disposerons des bouches à feu pour garantir le libre accès aux Champs-Elysées.
    — Le tonnerre ? dit Barras.
    Ils tendent l’oreille. Le grondement ressemble à celui du tonnerre mais il se prolonge. Buonaparte ouvre une fenêtre. Sur la terrasse des Feuillants, les volontaires de 89 poussent des vivats, les sentinelles du corps de garde mettent leurs chapeaux au bout des baïonnettes pour crier à l’unisson.
    — Mes canons, dit Buonaparte.
    Sur le gravier de l’esplanade roulent les canons des Sablons; les chevaux de trait sont fourbus, luisants de pluie, ils remuent le col et soufflent de la vapeur. Le capitaine en habit vert monte le perron salué par les hommes du corps de garde, il passe la porte du Comité où Barras et Buonaparte l’attendent. Ce dernier taquine le cavalier :
    — Tu as été bien long, capitaine.
    — Devant Chaillot, il nous a fallu mettre en déroute un troupeau de rebelles, citoyens. Nous les avons chargés. Ils se sont enfuis en courant sous les arbres.
    — Rappelle-moi ton nom ?
    — Murat. Joachim Murat, de Cahors.
    Le lundi 5 octobre, soit le 13 vendémiaire, la séance de l’Assemblée reprenait à midi dans les craintes, les imprécations, les disputes. Les uns insistaient pour négocier avec la rébellion; d’ailleurs son général, Danican, envoyait des messages aux députés : désarmez les bataillons jacobins, ces buveurs de sang qui chantent encore Marat et Robespierre, entendons-nous. Les autres leur opposaient les vertus menacées de la République : si l’émeute l’emportait, le pays entier serait en flammes, les royalistes massacreraient les nombreux conventionnels qui avaient jadis voté la mort du roi; l’Assemblée tomberait au profit de la réaction. Le représentant Delormel montrait du courage quand il sentait en péril ses maisons, son pot-au-feu, Rosalie et sa tête. Il intervint à la tribune avec sa grosse voix des heures difficiles, comme au printemps face aux ouvriers. Il avait redit à ses collègues que beaucoup de sections bourgeoises de la garde nationale refusaient l’affrontement, et que loin de vouloir abattre la Convention certaines voulaient la défendre. Un modéré lui cria :
    — Puisque tu es sûr de ce que tu avances, Delormel, va les chercher, tes sections exemplaires !
    — Donnez-moi un mandat et j’y vais de ce pas.
    Il part recruter les sections raisonnables avec trente dragons aux uniformes fatigués que les Comités ont aussitôt mis à sa disposition. Il constate que le Pont-Neuf est fermé par le général Carteaux et deux pièces de quatre, mais déjà des bataillons rebelles stationnent devant le Louvre et montrent leurs armes. Delormel et ses hommes suivent le quai. Au Pont-au-Change, dégarni de troupes fidèles, ils sont immobilisés par une colonne venue de la rive droite.
    — Dégagez le quai! dit Delormel, le pistolet en l’air.
    Voyant cette résolution, le pharmacien du quartier de l’Odéon qui commande ces insurgés le laisse aller son chemin avec ses dragons. Dans les deux camps, personne ne veut être responsable du premier coup de feu qui déclencherait la guerre civile. Delormel parvient donc sans souci jusqu’à la section de l’Indivisibilité, hostile à l’émeute ; elle campe sous les tilleuls de la place Royale et occupe les ateliers de fabrication d’armes installés par la Révolution. L'arrêté du gouvernement que montre le représentant est inutile : la section entend rester neutre. Notre homme râle et continue vers le faubourg. Dès qu’ils voient son écharpe tricolore, les bougres du bataillon de Montreuil lèvent leurs armes : « Vive la Convention! » Delormel profite de cette heureuse disposition, descend de cheval, parle au charpentier

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