LE CHÂTEAU DANGEREUX
chevalier en s’adressant à Bertram, plus dangereux de voyager dans ce pays que dans tout autre district plus tranquille de l’Angleterre, mais certains troubles dont vous pouvez avoir entendu parler ont eu lieu dans ces environs depuis l’année dernière, et ont forcé la garnison du château de Douglas à faire plus rigoureusement le service. Mais avançons, car la couleur du jour se rapporte à merveille avec l’étymologie qu’on donne au nom de ce pays, et la description qu’on nous fait des chefs qui en étaient possesseurs… Sholto Dhu Glass. (Voyez cet homme d’un noir gris), et notre route sera ce matin d’un gris noir, mais heureusement elle n’est pas longue. »
En effet, la matinée était, suivant le sens véritable des mots gaéliques, brumeuse, noire, humide ; le brouillard avait envahi les montagnes et se déroulait sur les rivières, les clairières et les marais ; la brise du printemps n’était pas assez forte pour soulever le voile, quoique, à en juger par les sons aigus qui retentissaient de temps à autre le long des flancs des collines ou à travers les vallons, on pût cependant croire qu’il déplorait son impuissance. La route que suivaient les voyageurs était marquée par le cours que la rivière s’était frayé dans le vallon, et ses eaux présentaient en général cette livrée gris-noir que sir Aymer de Valence prétendait être la teinte prédominante du pays. Le soleil, tentant à plusieurs reprises d’infructueux efforts pour paraître, lançait de temps à autre un rayon qui allait dorer la cime des montagnes ; mais il ne pouvait pas activer la lenteur du lever du jour, et la lumière, à une heure encore si peu avancée, produisait une variété d’ombres plutôt que des flots de splendeur du côté de l’orient. Le spectacle de la nature était monotone et attristant, et le bon chevalier Aymer paraissait chercher à se distraire en causant parfois avec Bertram qui, comme d’ordinaire les gens de sa profession, possédait un fonds de connaissances et un charme de conversation très propres à faire passer bien vite une ennuyeuse matinée. Le ménestrel, avide de recueillir tous les renseignemens possibles sur l’état présent du pays, saisissait toutes les occasions d’entretenir le dialogue.
« Je serais charmé de causer avec vous, sir ménestrel, dit le jeune chevalier. Si vous ne craignez pas que l’air un peu vif de cette vilaine matinée ne vous gâte la voix, je vous prierai de me dire franchement quel motif a pu vous porter, vous, homme de sens, à ce qu’il me paraît, à vous jeter dans un pays aussi sauvage que celui-ci, et dans un pareil temps… Et vous, camarades, dit-il en s’adressant aux archers et au reste de la troupe, il me semble qu’il serait aussi convenable et aussi décent que vous restassiez tant soit peu en arrière de nous ; car j’imagine que vous pouvez bien suivre votre route sans avoir besoin d’un ménestrel pour vous distraire. » Les archers obéirent en ralentissant le pas de leurs chevaux ; mais, comme il fut aisé de l’apercevoir, d’après certaines observations qu’ils murmurèrent à demi-voix, ils n’étaient nullement satisfaits qu’on leur ôtât, pour ainsi dire, le peu de chance qu’ils avaient d’entendre la conversation qui allait avoir lieu entre le jeune chevalier et le ménestrel : or, voici quelle elle fut.
« Je dois donc comprendre, bon ménestrel, dit le chevalier, que vous, qui avez, dans votre temps, porté les armes et même avez suivi jusqu’au Saint-Sépulcre la bannière de saint George, la bannière représentant la Croix-Rouge, vous vous sentez irrésistiblement attiré, mais sans aucune raison positive, vers les régions où l’épée, quoique toujours renfermée dans le fourreau, est prête à en sortir à la moindre provocation. »
« Il serait dur, répliqua le ménestrel d’un ton brusque, de répondre par l’affirmative à une semblable question ; et cependant, si vous considérez combien la profession de l’homme qui célèbre les hauts faits d’armes touche de près à celle du chevalier qui les exécute, votre honneur tombera je pense, d’accord avec moi qu’un ménestrel, jaloux de remplir son devoir, doit, comme un jeune chevalier, chercher la vérité des nobles aventures là où il peut seulement la trouver, et visiter plutôt les pays où l’on garde le souvenir de grandes et nobles actions que ces royaumes paresseux et paisibles où les
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