LE CHÂTEAU DANGEREUX
dans le monde. Tu as dignement gagné ton salaire de ménestrel {11} ; et si je ne puis te payer aussi chèrement que tu mériterais selon moi, ce sera la faute de dame fortune, qui n’a récompensé mes fatigues, dans ces guerres écossaises, que par une mesquine paie d’argent écossais {12} . Il doit me rester une pièce d’or ou deux de la rançon d’un chevalier français que le hasard a fait tomber entre mes mains ; et cet or, mon ami, passera assurément entre les tiennes. Et, écoute bien, moi Aymer de Valence qui te parle, je suis né de la noble maison de Pembrocke ; et, quoique je ne possède aujourd’hui aucun domaine, j’aurai un jour, avec l’aide de Notre-Dame, des terres et un château où je trouverai bien la place de loger un ménestrel comme toi, si tes talens ne t’ont pas d’ici là trouvé un meilleur patron. »
– « Merci, noble chevalier, aussi bien pour tes intentions présentes que pour les promesses par lesquelles tu t’engages envers moi ; mais je puis dire avec vérité que je n’ai pas l’inclination sordide de beaucoup de mes confrères. »
– « L’homme qui ressent la véritable soif de la renommée ne peut avoir de place dans son cœur pour l’amour de l’or. Mais tu ne m’as point encore dit, ménestrel mon ami, quels sont en particulier les motifs qui ont attiré tes pas errans vers ce sauvage pays. »
« Si je te les disais, » répliqua Bertram qui désirait plutôt éluder la question qu’y répondre, attendu qu’elle touchait d’un peu trop près au but sacré de son voyage, « tu pourrais croire, sir chevalier, que je te débite un panégyrique étudié de tes propres exploits et de ceux de tes compagnons d’armes ; et tout ménestrel que je suis, je déteste une telle adulation autant qu’une coupe vide aux lèvres d’un ami. Mais permets-moi de te dire en peu de mots que le château de Douglas et les actes de valeur dont il a été témoin ont retenti par toute l’Angleterre ; et il n’est pas de brave chevalier ni de véritable ménestrel dont le cœur n’ait tressailli au nom d’une forteresse où jadis un Anglais ne mit jamais le pied que pour y recevoir l’hospitalité. Il y a une espèce de magie dans les noms mêmes de sir John de Walton et de sir Aymer de Valence, braves défenseurs d’une place si souvent reconquise par ses anciens possesseurs, et avec de telles circonstances de courage et de cruauté que nous l’appelons en Angleterre le Château dangereux. »
– « Mais encore je voudrais vous entendre raconter à votre manière ces légendes qui vous ont porté, pour l’amusement des siècles à venir, à visiter un pays qui, à cette époque, est si troublé et si périlleux. »
– « S’il vous est possible d’endurer un récit de ménestrel dans toute sa longueur, moi qui trouvai toujours du plaisir à exercer ma profession, je consens à vous raconter une histoire de ma façon, pourvu que vous me promettiez de l’écouter avec patience. »
– « Oh ! quant à cela, vous aurez en moi un auditeur parfait ; et si ma récompense doit être légère, du moins mon attention sera grande. »
« C’est un bien pauvre troubadour, répliqua Bertram, que celui qui ne s’estime pas mieux récompensé par de l’attention que par de l’or et de l’argent, quand même les pièces seraient des nobles roses d’Angleterre. À cette condition donc, je commence une longue histoire, qui, dans certaines parties, pour certains détails, aurait pu prêter davantage au talent de ménestrels plus habiles que moi, et être encore écoutée par des guerriers tels que vous dans une centaine d’années. »
CHAPITRE IV.
L’Histoire
Tandis que de joyeux lais et de joyeuses chansons égayaient la triste route, nous souhaitions que la triste route fut longue ; mais alors la triste route revenant sur elle-même était témoin de leur impatience, car ce n’était plus qu’une véritable campagne de fée.
JOHNSON.
« C’était vers l’an de grâce 1285, dit le ménestrel, où Alexandre III, roi d’Écosse, perdit sa fille Marguerite, dont l’unique enfant de même nom, et appelée aussi la Vierge de Norwége, attendu que son père était roi de ce pays, hérita du royaume d’Écosse aussi bien que de la couronne de son père. Ce fut une mort bien douloureuse pour Alexandre, qui se trouvait n’avoir plus que sa petite-fille pour plus proche héritière. Elle aurait sans doute pu réclamer son
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