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LE CHÂTEAU DANGEREUX

LE CHÂTEAU DANGEREUX

Titel: LE CHÂTEAU DANGEREUX Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Walter Scott
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hommes vivent dans l’indolence, et meurent ignoblement de leur belle mort ou par sentence de la loi. Vous et vos pareils, sir de Valence, qui n’estimez rien la vie en comparaison de la gloire, vous dirigez votre barque dans ce monde d’après le même principe qui attire votre humble serviteur, le ménestrel Bertram, du fond d’une province de la joyeuse Angleterre vers le noir canton de la raboteuse Écosse, qu’on nomme la vallée de Douglas. Vous, vous brûlez du désir de rencontrer de glorieuses aventures, et moi… pardon, si j’ose ainsi me nommer après vous, je cherche à gagner une existence malheureuse et précaire, mais honorable du moins, en préparant pour l’immortalité, aussi bien que je puis, les détails de ces exploits, surtout les noms de ceux qui ont été les héros de ces belles actions. Chacun de nous suit donc sa vocation ; et il n’est pas juste d’admirer l’un plus que l’autre, attendu que, s’il y a quelque différence dans les degrés du péril auquel le héros et le poète sont exposés, le courage, la force, les armes et l’adresse du vaillant chevalier font qu’il court moins de risque, en s’exposant au danger, que le pauvre rimeur. »
    « Vous avez raison, répliqua le guerrier ; et quoique ce soit une espèce de nouveauté pour moi que d’entendre mettre pour ainsi dire sur un même pied votre profession et mon genre de vie, néanmoins il serait honteux de dire que le ménestrel, qui travaille tant pour transmettre à la postérité les exploits des braves chevaliers, ne préférerait pas lui-même la renommée à l’existence, et un seul acte de valeur à tout un siècle de vie sans gloire ; et l’on ne peut prétendre qu’il suit une profession basse et peu honorable. »
    « Votre seigneurie reconnaîtra donc, dit le ménestrel, que j’ai un but légitime, moi qui, homme si simple que je sois, ai cependant pris régulièrement mes grades parmi les professeurs de la gaie science, dans la capitale d’Aiguemort, pour venir à grand’peine jusque dans ce district du nord, où doivent, j’en suis convaincu, s’être passés bien des événemens que les fameux ménestrels des anciens jours ont chantés sur la harpe, et qui sont devenus des sujets de lais, déposés sans doute dans la bibliothèque du château de Douglas où ils courent risque d’être perdus pour la postérité, quoi qu’ils puissent contenir pour l’agrément ou l’édification, à moins d’être transcrits par des hommes qui comprennent le vieux langage de notre pays. Si ces trésors enfouis étaient déterrés et rendus au public par l’art d’un pauvre ménestrel comme moi et quelques autres, il y aurait bien là de quoi me dédommager du risque que j’ai couru en recevant des égratignures de sabre ou des coups de balai pour venir rechercher ces trésors ; et je serais indigne du nom d’homme, à plus forte raison de celui de trouvère ou de troubadour {10} , si je mettais en balance la perte de la vie, chose toujours si incertaine, contre la chance de cette immortalité qui survivra dans mes vers après que ma voix cassée et ma harpe déjointe ne pourront ni faire entendre un air ni accompagner un chant. »
    « À coup sûr, dit sir Aymer, puisque votre ame vous permet de sentir un pareil aiguillon, vous avez le droit inattaquable d’émettre une semblable idée ; et je n’aurais été nullement disposé à en douter si j’avais rencontré beaucoup de ménestrels portés comme vous à préférer la renommée à la vie elle-même que la plupart des hommes estiment bien davantage. »
    « Il y a, il est vrai, noble guerrier, répliqua Bertram, des ménestrels, et, avec votre permission, des chevaliers même, qui n’attachent pas une valeur suffisante à la renommée qui s’acquiert au péril de la vie. Il nous faut laisser à ces hommes misérables la récompense qu’ils ambitionnent : abandonnons-leur la terre et les choses de la terre, puisqu’ils ne peuvent aspirer à cette gloire qui est la meilleure récompense des autres hommes. »
    Le ménestrel prononça ces derniers mots avec un tel enthousiasme que le chevalier, tirant la bride pour arrêter son cheval, se mit à contempler Bertram avec une physionomie enflammée d’un même désir d’illustration ; et, après un court silence, il exhala tout ce qu’il éprouvait.
    – « Gloire, gloire à ton cœur, gai compagnon ! Je m’estime heureux de voir qu’il existe encore un pareil enthousiasme

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