LE CHÂTEAU DANGEREUX
années ; mais il ne me convient pas d’entamer un débat d’opinion avec un chevalier tel que vous. Je vais donc vous conter la légende telle qu’on me l’a dite. Je n’ai pas besoin, je pense, de rappeler à votre seigneurie que les lords de Douglas, qui ont bâti ce château, ne le cèdent à aucune famille d’Écosse pour l’ancienneté de leur race ; ils prétendent même que leurs ancêtres ne sont comptés, comme ceux des autres grandes familles, que du moment où ils se sont distingués par un certain degré d’illustration. « Vous pouvez nous voir en arbre, disent-ils, vous ne pouvez nous découvrir en simple rejeton. Vous pouvez nous voir en rivière, vous ne pouvez nous découvrir en simple source. » En un mot, ils nient que les historiens ou les généalogistes puissent désigner le premier homme non célèbre, appelé Douglas, qui fut la souche première de leur famille ; et la vérité est, si reculée que soit l’époque à laquelle remonte cette race, que nous la voyons toujours se distinguer par le courage et les hautes entreprises, ainsi que par la puissance qui en assure le succès. »
« Assez, dit le chevalier ; j’ai ouï parler de l’orgueil et de la puissance de cette grande famille, et je n’ai pas le moindre intérêt à nier ou à combattre leurs vastes prétentions à la gloire sous ce rapport. »
– « Vous avez sans doute dû aussi avoir beaucoup entendu parler, noble seigneur, de Jacques, l’héritier actuel de la maison de Douglas ? »
– « Oui, plus qu’il ne faut. Il est connu pour avoir vigoureusement soutenu ce traître mis hors la loi, ce William Wallace ; et encore, dès que cet infâme Robert Bruce, qui prétend être roi d’Écosse, lèvera la bannière de la révolte, ce jeune freluquet, ce bambin de James Douglas, devra nécessairement se mêler aussi de rébellion. Il vole à son oncle, l’archevêque de Saint-André, une somme d’argent considérable, pour remplir le trésor de l’usurpateur, qui n’est jamais bien lourd, débauche les serviteurs de son parent, prend les armes, et quoique châtié maintes fois sur les champs de bataille, ne rabat rien de ses fanfaronnades, et menace de son courroux ceux qui, au nom de leur très légitime souverain, défendent le château de Douglas.
– « Il peut vous plaire de parler ainsi, sir chevalier ; cependant je suis convaincu que, si vous étiez Écossais, vous me laisseriez, avec patience, vous dire ce que racontent de ce jeune homme ceux qui l’ont connu, et le récit de ses aventures, fait par ces personnes, montre combien la même histoire peut être différemment racontée. Ces personnes parlent de l’héritier actuel de cette ancienne famille, comme d’un homme tout-à-fait capable de soutenir et même d’augmenter la réputation de ses ancêtres ; prêt sans doute à affronter tous les périls dans la cause de Robert Bruce, parce qu’il le regarde comme son légitime souverain ; engagé par serment, et ne songeant, avec les troupes peu nombreuses qu’il peut réunir, qu’à se venger de ces Anglais {13} qui se sont depuis plusieurs années, à ce qu’il pense, injustement emparés des biens de son père. »
– « Oh ! nous avons beaucoup entendu parler de ses projets de vengeance et de ses menaces contre notre gouverneur et contre nous-mêmes ; nous pensons cependant qu’il n’est guère probable que sir John de Walton abandonne la vallée de Douglas sans l’ordre du roi, quoique ce jeune Douglas, qui n’est qu’un enfant, paraisse vouloir se fausser la voix en criant comme un coq qui en combat un autre. »
– « Sir chevalier, il y a bien peu de temps que nous avons fait connaissance, et cependant j’ai déja tant gagné à vous connaître, qu’il n’y a, je l’espère, aucun mal à souhaiter que vous ne puissiez jamais, James Douglas et vous-même, vous trouver en présence l’un de l’autre, avant que l’état de ces deux royaumes permette que la paix puisse régner entre vous. »
– « Ami, voilà d’excellentes intentions, et je ne doute pas de ta sincérité. Vraiment, tu me parais sentir, comme il le faut, tout le respect qu’on doit à ce jeune chevalier, quand on parle de lui, dans sa vallée natale de Douglas. Quant à moi, je ne suis que le pauvre Aymer de Valence, sans un acre de terre, sans grande espérance d’en jamais posséder un seul, à moins qu’avec mon large sabre je ne me taille un domaine au milieu de ces
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