LE CHÂTEAU DANGEREUX
montagnes. Seulement, bon ménestrel ; si tu vis assez pour conter un jour mon histoire, puis-je te prier d’être fidèle à ta scrupuleuse habitude de rechercher la vérité ? et que je vive long-temps ou meure bientôt, tu ne découvriras jamais, je pense, que ta vieille connaissance d’une matinée de printemps ait plus ajouté aux lauriers de James Douglas que la mort d’aucun homme ne doit en donner à celui dont le bras plus robuste ou plus heureux l’aura fait tomber sous ses coups. »
– « Je ne redoute rien de vous, seigneur chevalier, car le ciel vous a doué de cet heureux esprit qui, chaleureux dans la jeunesse comme il convient à un jeune chevalier, est, dans un âge plus mûr, une heureuse source de prudence dont je ne voudrais pas qu’une mort prématurée privât son pays. »
– « Est-ce donc si simple que de souhaiter à la vieille Angleterre les sages avis de la prudence, quoique tu prennes dans la guerre actuelle le parti de l’Écosse ? »
– « Assurément, sir chevalier, puisque, en souhaitant que l’Angleterre et l’Écosse connaissent chacune leur véritable intérêt, je suis tenu à souhaiter aussi qu’elles soient également heureuses ; et je crois qu’elles désirent vivre ensemble en bonne intelligence. Occupant chacune leur portion de la même île, vivant sous les mêmes lois, en paix l’une avec l’autre, elles pourraient, sans crainte de défaite, s’attaquer au monde entier. »
– « Si ta croyance est si large (et tout honnête homme doit penser comme toi) il te faut nécessairement demander à Dieu, sire ménestrel, qu’il fasse triompher les Anglais dans une guerre qui seule peut mettre fin, par une paix solide, aux sanguinaires inimitiés des peuples du nord. Les rébellions de ce peuple obstiné ressemblent absolument aux vains efforts du cerf lorsqu’il est blessé : le pauvre animal devient de plus en plus faible, plus il cherche à se défendre, jusqu’à ce qu’enfin la main de la mort rende toute tentative inutile. »
– « Non pas, sir chevalier, si je ne me trompe, nous ne devons pas adresser au ciel cette prière. Nous pouvons, sans offenser Dieu, dire, quand nous prions, le but que nous voudrions atteindre ; mais ce n’est pas à nous, pauvres mortels, de désigner à la Providence, qui voit tout, la manière précise dont nos vœux doivent être accomplis, ni souhaiter la ruine d’un pays pour fin aux révolutions qui le tourmentent, de même que le coup de grace termine l’agonie du cerf blessé. Soit que je consulte mon cœur ou ma raison, il me semble qu’on ne doit demander au ciel que ce qui est juste et équitable ; et si je redoute pour toi, sir chevalier, une rencontre avec James de Douglas, c’est uniquement parce qu’il me paraît combattre pour la bonne cause, et que des puissances plus que terrestres lui ont présagé qu’il réussirait. »
« Osez-vous bien me parler de la sorte, sire ménestrel, s’écria de Valence d’un ton menaçant, lorsque vous savez qui je suis, quel poste j’occupe ? »
« Votre dignité personnelle et votre autorité, répliqua Bertram, ne peuvent changer le bien en mal, ni empêcher que les décrets de la Providence ne s’exécutent. Vous savez, je le présume, que Douglas, au moyen de différens stratagèmes, est déja parvenu à s’emparer trois fois du château de Douglas ; et que sir John de Walton, le gouverneur actuel, l’occupe avec une garnison triple en forces, et avec la promesse que si, sans se laisser surprendre, il peut s’y maintenir malgré les efforts des Écossais pendant une année et un jour, il obtiendra pour récompense la libre propriété de la baronnie de Douglas avec le vaste apanage qui en dépend ; tandis qu’au contraire si, pendant ce même espace de temps, il laisse reprendre cette forteresse, soit par ruse soit par force ouverte, comme la chose est successivement arrivée à tous les gouverneurs du Château dangereux, il pourra être dégradé comme chevalier, et proscrit comme sujet : en outre, les officiers qui se renfermeront avec lui dans le château, et qui serviront sous ses ordres, partageront aussi son crime et son châtiment. »
– « Je sais tout cela ; et je m’étonne seulement que, pour être devenues publiques, ces conditions soient néanmoins répétées avec tant d’exactitude. Mais quel rapport a tout ceci avec l’issue du combat, si le hasard veut que Douglas et moi nous nous rencontrions ? Je
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