LE CHÂTEAU DANGEREUX
trop escarpée. Les voyageurs parvinrent enfin au sommet d’une montée très haute et très longue. De ce point, et derrière un énorme roc qui paraissait avoir été, pour ainsi dire, mis de côté et disposé comme une décoration de théâtre pour que la vue plongeât dans la partie basse de la vallée, ils aperçurent dans son ensemble le val immense dont les parties avaient déja été vues en détail, mais qui se développait alors, attendu que la rivière devenait plus étroite en cet endroit, dans toute sa profondeur et sa largeur, et montrait dans son enceinte, à peu de distance du cours de la rivière, le superbe château seigneurial qui lui donnait son nom. Le brouillard, qui emplissait toujours la vallée de ses nuages laineux, ne laissait voir qu’imparfaitement les fortifications grossières qui servaient de défense à la petite ville de Douglas, assez solides pour repousser une tentative d’attaque, mais non pour résister à ce qu’on appelait alors un siége en règle. L’objet qui attirait principalement les regards était l’église, ancien monument gothique construit sur une éminence au centre de la ville, et qui alors tombait presque en ruines. À gauche, et s’effaçant pour ainsi dire dans l’éloignement, on pouvait distinguer d’autres tours et d’autres créneaux ; enfin, séparé de la ville par une pièce d’eau artificielle qui l’entourait presque, s’élevait le château dangereux de Douglas.
Il était solidement fortifié à la mode du moyen-âge, avec donjon et créneaux déployant au dessus de toutes les autres la haute tour qui portait le nom de Tour de lord Henri ou de Tour de Clifford.
« Voici le château, dit Aymer de Valence, en étendant le bras avec un sourire de triomphe ; tu peux juger par toi-même si les défenses qu’on y a ajoutées sous les ordres de Clifford doivent faire qu’à la première fois il sera encore plus facile de le prendre qu’à la dernière. »
Le ménestrel secoua simplement la tête, et emprunta au psalmiste la citation suivante : Nisi custodiet Dominus. Et il n’ajouta rien de plus, quoique de Valence, répliquât avec vivacité : « Je pourrais, en citant ce texte, y appliquer le même sens que tu y appliques ; mais il me semble que tu as l’esprit un peu plus mystique que ne l’ont ordinairement les ménestrels voyageurs. »
« Dieu sait, dit Bertram, que, si moi ou mes pareils nous oublions que le doigt de la Providence accomplit toujours ses desseins dans ce bas monde, nous méritons le blâme plus que tous les autres, puisque nous sommes continuellement appelés, dans l’exercice de notre profession imaginative, à admirer les coups du destin qui font sortir le bien du mal, et qui rendent les hommes, dont l’unique pensée est leurs propres passions et leurs propres desseins, exécuteurs de la volonté du ciel. »
« Je me soumets à ce que vous dites, sire ménestrel, répliqua le chevalier, et je n’ai pas le droit d’énoncer le moindre doute sur les vérités que vous établissez si solennellement, moins encore sur la bonne foi avec laquelle vous les exposez. Permettez-moi d’ajouter que je crois avoir assez de crédit dans cette garnison pour que vous y soyez le bienvenu ; et sir John de Walton, je l’espère ne refusera point le libre accès de la grande salle du château et de la chambre du chevalier à une personne de votre profession, lorsque nous pouvons retirer certain profit de vos entretiens. Je ne puis cependant vous faire espérer la même indulgence pour votre fils, vu l’état actuel de sa santé ; mais si j’obtiens pour lui la permission de séjourner au couvent de Sainte-Bride, il y demeurera tranquille et en sûreté jusqu’à ce que vous ayez renouvelé connaissance avec la vallée de Douglas et son histoire, et que vous soyez prêt à continuer votre voyage. »
« J’accède à la proposition de votre honneur, d’autant plus volontiers, dit le ménestrel, que je puis récompenser l’hospitalité du père abbé. »
« Point essentiel avec de saints hommes ou de saintes femmes, répliqua de Valence, qui ne subsistent, en temps de guerre, qu’en fournissant aux voyageurs qui viennent visiter leurs reliques les moyens de passer quelques jours dans leurs cloîtres. »
La petite troupe approchait des sentinelles, alors en faction sur les différens points du château, et qui étaient postées à peu de distance les unes des autres : elles admirent respectueusement
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