LE CHÂTEAU DANGEREUX
l’approuverait d’avoir introduit dans le château un individu tel que Bertram, qui pouvait examiner les points fortifiés de la citadelle et occasioner ensuite pour la garnison beaucoup de fatigues et de dangers. Il regrettait donc en secret de n’avoir pas honnêtement donné à entendre au barde ambulant que son admission ou celle de tout autre étranger dans le Château Dangereux était empêchée pour le moment par les circonstances de l’époque. En ce cas, il se serait justifié par l’obligation où il se trouvait de faire son devoir, et au lieu de s’attirer le blâme et les reproches du gouverneur, il aurait peut-être mérité ses éloges et son approbation.
Outre ces pensées qui le tourmentaient, sir Aymer conçut la crainte tacite d’un refus de la part de son officier commandant ; car cet officier, malgré sa rigueur, il ne l’aimait pas moins qu’il ne le redoutait. Il se rendit donc au corps-de-garde du château, sous prétexte de voir si les règles de l’hospitalité avaient été convenablement observées à l’égard de son compagnon de route. Le ménestrel se leva respectueusement, et, à en juger d’après la manière dont il présenta ses respects à sir Aymer, il parut, sinon s’être attendu à cette marque de politesse de la part du sous-gouverneur, du moins n’en être nullement surpris. D’un autre côté, sir Aymer prit à l’égard de Bertram un air plus réservé que celui qu’il avait pris jusqu’alors, et en revenant sur sa première invitation il alla jusqu’à dire que le ménestrel savait qu’il ne commandait qu’en second, et que la permission réelle d’entrer dans le château devait être sanctionnée par sir John de Walton.
Il y a une manière honnête de paraître croire aux excuses dont certaines gens viennent nous payer, sans alléguer aucun soupçon sur leur validité. Le ménestrel lui offrit donc ses remercîmens pour la politesse qu’on lui avait déja témoignée. « Si je désirais loger dans ce château, dit-il, ce n’était qu’une simple envie, une curiosité passagère ; si on ne m’en accorde pas la permission, il ne m’en reviendra ni désagrément ni déplaisir. Thomas d’Erceldoune était, suivant les triades galloises, un des trois bardes de la Grande-Bretagne qui ne teignit jamais une lance de sang, qui ne fut jamais coupable d’avoir pris ou repris des châteaux et des forteresses ; il s’en faut donc de beaucoup qu’on doive le soupçonner, après sa mort, d’être capable d’accomplir de tels exploits. Mais il m’est aisé de concevoir que sir John de Walton ait laissé les droits ordinaires de l’hospitalité tomber en désuétude, et j’avoue qu’un homme d’un caractère public comme moi ne doit pas désirer prendre de la nourriture ni loger dans un château qui est réputé pour dangereux ; et personne ne doit être surpris que le gouverneur ne permette pas même à ce digne jeune lieutenant de lever une défense si sévère et si peu habituelle. »
Ces mots prononcés très sèchement avaient pour but d’insulter le jeune chevalier, comme donnant à entendre qu’il n’était pas regardé comme suffisamment digne de confiance par sir John de Walton, avec qui pourtant il avait vécu sur le pied de l’affection et de la familiarité, quoique le gouverneur eût atteint sa trentième année et au delà, et que son lieutenant ne fût pas encore arrivé à sa vingt-unième ; car, malgré l’âge fixé pour la chevalerie, on lui avait accordé une dispense par suite des exploits qu’il avait accomplis dès sa jeunesse. Avant qu’il eût complétement calmé les mouvemens de colère qui s’élevaient dans son esprit, le son d’un cor de chasse se fit entendre à la porte, et, à en juger par l’espèce de remuement général qu’il opéra dans toute la garnison, il fut évident que le gouverneur était de retour au château. Chaque sentinelle, comme ranimée par sa présence, tenait sa pique plus droite, échangeait le mot d’ordre avec plus de précaution, et paraissait mieux comprendre et mieux remplir son devoir. Après avoir mis pied à terre, sir John de Walton demanda à Feuille-Verte ce qui était arrivé durant son absence. Le vieil archer se crut obligé à dire qu’un ménestrel, qui avait l’air d’un Écossais ou d’un habitant vagabond des frontières, avait été admis dans le château, tandis que son fils, garçon malade de la contagion qui avait tant fait de bruit, avait été
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