LE CHÂTEAU DANGEREUX
nuages épais, et de dissiper l’obscurité qui pèse sur l’avenir. Et toi, homme affligé, sache que les désastres auxquels tu vois ce malheureux pays en butte ne sont pas un présage de l’état dont il jouira par la suite : au contraire, autant les Douglas souffrent aujourd’hui dans la perte de leurs biens, dans la destruction de leur château, infortunes qui leur viennent de leur fidélité à l’héritier légitime du royaume d’Écosse, autant est grande la récompense que leur destine le ciel ; et, comme ils n’ont pas hésité à brûler et à renverser leur propre maison et celle de leurs pères dans l’intérêt de la cause de Bruce, le ciel a décrété qu’aussi souvent que les murailles du château de Douglas seront brûlées et mises au niveau du sol, elles seront rebâties avec encore plus de solidité et de magnificence qu’auparavant.
« Un cri poussé par une multitude réunie dans la grande cour se fit alors entendre, cri de joie et de triomphe. En même temps une grande lueur rouge sembla s’élancer des combles et des solives du toit ; suivirent bientôt des étincelles aussi nombreuses que celles qui s’échappent de dessous le marteau d’un forgeron ; et peu après, le feu gagnant de proche en proche, l’incendie se fraya un passage par mille ouvertures.
« Vois-tu ? dit la vision en dirigeant ses regards vers la fenêtre et en disparaissant ; pars ! éloigne-toi ! l’heure voulue pour enlever ce livre n’est pas encore arrivée, et tes mains ne sont pas prédestinées pour cette œuvre ; mais il sera en sûreté dans le lieu où je l’ai placé, et le temps où l’on pourra l’y prendre viendra. » La voix se faisait encore entendre que la forme avait disparu, et la tête d’Hugonnet lui tournait presque par suite de l’horrible spectacle dont il était témoin. Ce fut à peine s’il trouva assez de forces pour s’arracher à ce lieu de terreur ; et dans la nuit le château de Douglas s’évanouit en cendres et en fumée pour reparaître peu après plus redoutable et plus fort qu’auparavant. » Le ménestrel s’arrêta, et son auditeur, le chevalier anglais, garda quelques minutes de silence avant de répliquer.
« Il est vrai, ménestrel, répondit donc sir Aymer, votre histoire est inattaquable sur ce point que le château, trois fois brûlé par l’héritier de la maison et de la baronnie, a jusqu’à présent été autant de fois relevé par Henri lord Clifford, et d’autres généraux anglais qui ont toujours cherché à le reconstruire plus solide et plus fort qu’il n’était, attendu qu’il occupe une position trop importante à la sûreté de notre frontière du côté de l’Écosse pour permettre que nous l’abandonnions : je l’ai vu moi-même rebâtir en partie. Mais je ne puis croire que, parce que le château a été ainsi renversé, il doive toujours être aussi nécessairement relevé, attendu que les exploits des Douglas sont toujours accompagnés de barbaries qui assurément ne peuvent obtenir l’approbation du ciel. Mais je vois que tu es décidé à ne pas changer d’opinion, et je ne puis t’en blâmer ; car les merveilleux revers de fortune qui ont successivement assailli tous les possesseurs de cette forteresse autorisent suffisamment les hommes à s’attendre à ce qu’ils regardent comme l’indication manifeste de la volonté du ciel ; mais tu peux croire, bon ménestrel, que la faute n’en sera point à moi si le jeune Douglas trouve encore l’occasion d’exercer son talent culinaire par une seconde édition de son Garde-manger de famille, et s’il peut profiter des prédictions de Thomas-le-Rimeur. »
« Je ne révoque en doute ni votre circonspection ni celle de sir John de Walton, répliqua Bertram, mais je puis dire sans crime que le ciel mène toujours à fin ses projets. Je regarde pour ainsi dire le château de Douglas comme un lieu prédestiné, et je brûle du désir de voir quels changemens le temps a pu y opérer dans un espace de vingt ans ; je désirerais surtout m’emparer, s’il était possible, du volume de ce Thomas d’Erceldoune, qui contient un fonds si riche de poésies oubliées et de prophéties qui intéressent à un si haut point les destinées futures du royaume britannique, des royaumes du nord et du midi. »
Le chevalier ne répondit rien, mais marcha un peu, en avant, et dévia de quelques pas du bord de la rivière, le long de laquelle la route semblait être
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