LE CHÂTEAU DANGEREUX
de mon indulgence. Je vous permettrai d’écrire un mot à votre fils, et j’attendrai sa réponse avant de chercher à éclaircir autrement cette affaire, qui paraît être fort mystérieuse. En attendant, si vous avez une ame à sauver, je vous conjure de dire la vérité, et de m’avouer si les secrets dont vous semblez être le trop fidèle dépositaire, regardent les projets de surprise que méditent Douglas, Bruce et tous les autres contre ce château. »
Le prisonnier réfléchit un moment, puis répliqua : « Je sais, sire chevalier, à quelles terribles conditions vous est confié le commandement de cette forteresse, et s’il était en mon pouvoir de vous prêter assistance, comme ménestrel loyal et comme fidèle sujet, soit de la main, soit de la langue, je me sentirais porté à le faire ; mais tant s’en faut que je sois venu ici jouer le rôle que vos soupçons me donnaient, que j’aurais pu vous annoncer d’une manière certaine que Bruce et Douglas avaient réuni leurs partisans pour leur apprendre qu’ils renonçaient à toute tentative de révolte, et qu’ils partaient pour la terre sainte, sans l’apparition de cet habitant des forêts qui, je l’ai entendu dire, vous a bravé durant la chasse. Ce qui me donne à croire que quand un partisan si résolu et un vassal si dévoué de Douglas était assis sans crainte parmi vous, son maître et ses camarades ne pouvaient être à une grande distance. Jusqu’à quel point ses intentions vous étaient-elles amicales ?… Je vous en laisse le juge. Seulement veuillez croire que vos chevalets, vos genouillères, vos tenailles ne m’auraient pas extorqué des dénonciations ou des renseignemens dans une querelle qui ne me regarde que peu ou point, si je n’avais désiré vous convaincre que vous avez affaire à un honnête homme qui a pris vos intérêts à cœur… Cependant, faites-moi donner ce qu’il faut pour écrire, ou rendez-moi mon papier, mes plumes et mon encre, car je possède à un assez haut degré les talens de ma profession ; et je ne désespère pas de pouvoir vous procurer une explication de ces merveilles avant qu’il soit long-temps. »
« Dieu veuille qu’il en soit ainsi, répliqua le gouverneur, quoique je ne voie guère comme je pourrai atteindre cet heureux résultat, mais qu’il semble que je doive courir de grands risques en montrant trop de confiance. Au reste, mon devoir m’ordonne qu’en attendant je vous soumette à une détention sévère. »
En parlant ainsi, il passa au prisonnier son encre et ses plumes que les archers avaient saisis dès leur arrivée, et commanda à ses satellites de lâcher le prisonnier.
« Il faut donc, dit Bertram, que je reste soumis à toutes les rigueurs d’une dure captivité ? Mais je consens à souffrir moi-même tous vos mauvais traitemens, pourvu que je puisse vous empêcher d’agir avec un degré de témérité dont vous auriez toute votre vie à vous repentir, sans jamais pouvoir expier votre faute. »
« N’ajoutez-plus un mot, ménestrel, dit le gouverneur ; mais puisque j’ai pris mon parti, peut-être celui qu’il m’est le plus dangereux de prendre, essayons de la vertu de ce charme qui, dites-vous, doit me protéger, de même que l’huile jetée sur les flots courroucés peut, au dire des matelots, en calmer la fureur. »
CHAPITRE IX.
Le Fossoyeur.
Gare ! gare du moine noir il conserve encore sa puissance, car il est encore de droit héritier de l’église, quelle que puisse être la chanson. Amunde-ville est seigneur le jour ; mais le moine est seigneur, la nuit, et ni vin ni bombance ne sauraient exciter un vassal à contester les droits du moine.
LORD BYRON. Don Juan, Chant XVII.
Le ménestrel ne s’était pas vanté à tort du talent qu’il possédait à manier la plume. En effet, aucun moine du temps n’aurait plus promptement expédié, plus proprement tourné, ni plus joliment écrit le peu de lignes qu’il adressa « au jeune Augustin, fils de Bertram le ménestrel. »
« Je n’ai ni plié, dit-il, ni attaché cette lettre avec un fil de soie, car elle n’est pas conçue en termes qui puissent vous expliquer le mystère dont il s’agit, et, à vous parler franchement, je ne crois pas qu’elle puisse rien vous apprendre ; mais il peut vous être agréable de voir ce que la lettre ne contient pas, et de reconnaître qu’elle est écrite par une personne et à une personne qui toutes deux sont bien
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