LE CHÂTEAU DANGEREUX
intentionnées envers vous et votre garnison. »
« C’est, dit le gouverneur, une ruse qu’on emploie aisément : on peut néanmoins conclure, quoique d’une manière non très certaine, que vous êtes disposé à agir de bonne foi ; et jusqu’à ce que le contraire soit prouvé, je regarderai comme de mon devoir de vous traiter avec toute l’indulgence que comporte cette affaire. En attendant, je vais me rendre moi-même à l’abbaye de Sainte-Bride, et interroger en personne le jeune prisonnier ; et, comme vous dites qu’il a le pouvoir, je prie le ciel qu’il puisse avoir aussi la volonté d’éclaircir cette énigme, qui semble nous jeter tous dans la confusion. »
En parlant ainsi, il donna ordre de préparer son cheval, et pendant qu’on le préparait, il lut avec un grand calme la lettre du ménestrel. Elle était conçue dans les termes suivans :
« MON CHER AUGUSTIN,
« Sir John de Walton, gouverneur de ce château, a conçu contre nous les soupçons qui, comme je le prévoyais, devaient être la conséquence de notre voyage dans ce pays sans mission avouée. Moi, du moins, je suis arrêté, et l’on me menace de recourir contre moi aux douleurs de la torture pour me faire avouer de force le motif de notre venue en cette contrée ; mais la torture dépouillera mes os de leurs chairs avant de me contraindre à violer un serment que j’ai prêté. Et le but de cette lettre est de vous apprendre le risque que vous courez de vous trouver dans une position semblable à la mienne, à moins que vous ne soyez disposé à me permettre de tout découvrir au chevalier sir John ; mais sur ce sujet vous n’avez qu’à exprimer un désir, et vous pouvez être certain qu’il sera fidèlement rempli par votre dévoué
BERTRAM. »
Cette lettre ne jetait pas la moindre lumière sur le mystère qui enveloppait son auteur. Le gouverneur la lut plus d’une fois et la tourna dans tous les sens, comme s’il eût espéré par cette action mécanique tirer de la missive des informations qu’à la première vue les mots n’exprimaient pas ; mais comme il n’obtenait aucun résultat de ce genre, de Walton se rendit au vestibule, où il informa sir Aymer de Valence qu’il s’absentait pour aller jusqu’à l’abbaye de Sainte-Bride, et le pria de vouloir bien se charger des fonctions de gouverneur pendant son absence. Sir Aymer répondit qu’il ne pouvait s’y refuser, et la mésintelligence qui régnait entre eux ne permit pas une plus ample explication.
Dès l’arrivée de sir John de Walton au couvent délabré, le supérieur tremblant de précipitation ne songea plus qu’à venir immédiatement recevoir le gouverneur de la garnison anglaise, en qui reposait pour le présent toute l’espérance de leur maison, pour l’indulgence avec laquelle on les traitait, ainsi que pour l’entretien et la protection qui leur étaient nécessaires dans des temps si dangereux. Après avoir interrogé le vieillard relativement au jeune homme qui séjournait dans le couvent, de Walton apprit qu’il avait été malade depuis que son père Bertram, le ménestrel, l’y avait laissé. Il semblait à l’abbé que sa maladie pouvait être de l’espèce contagieuse de celle qui, à cette époque ravageait la frontière anglaise, et faisait des incursions en Écosse où elle se propagea ensuite d’une manière effrayante. Après s’être entretenu quelque temps avec lui, sir John de Walton remit à l’abbé la lettre dont il était porteur, pour le jeune homme logé sous son toit ; et en la remettant à Augustin, le révérend père fut chargé de faire au gouverneur anglais une réponse si hardie, qu’il était effrayé d’avoir à transmettre un pareil message : ce message, c’était d’annoncer que « le jeune homme ne pouvait ni ne voulait recevoir en ce moment le chevalier anglais ; mais que, s’il revenait le lendemain après la messe, il était probable qu’on pourrait lui apprendre les choses qu’il désirait connaître. »
« Ce n’est pas une réponse, dit sir John de Walton, qu’il convienne à un pareil bambin d’envoyer à un homme de mon importance, et il me semble, père abbé, que vous ne consultez guère votre sûreté personnelle en me transmettant un message si insolent. »
L’abbé tremblait sous les plis de son large vêtement d’étoffe grossière ; et de Walton, s’imaginant que son trouble était la conséquence d’une frayeur coupable, l’invita à se
Weitere Kostenlose Bücher