LE CHÂTEAU DANGEREUX
corridors. »
Cependant sœur Ursule, s’il nous est permis de lui donner, pour la dernière fois, son nom de couvent, changea son étole, ou plutôt sa large et longue robe, contre un manteau et un capuchon plus étroit de cavalier. Elle conduisit sa compagne par divers passages habilement compliqués, jusqu’à ce que lady de Berkely, le cœur battant de crainte, revît la lumière pâle et douteuse de la lune, qui brillait avec une incertitude grise sur les murailles de l’ancien édifice. L’imitation du cri d’un hibou les dirigea vers un grand orme voisin, et approchant de l’arbre elles distinguèrent trois chevaux tenus par un homme, dont tout ce qu’elles purent voir fut qu’il était grand, vigoureux, et portait le costume d’un homme d’armes.
« Plus tôt nous quitterons ces lieux, dit-il, mieux vaudra, dame Marguerite. Vous n’avez qu’à m’indiquer la route qu’il vous plait de suivre. »
Marguerite répondit à demi-voix, et en répondant, elle lui recommanda de marcher lentement et sans bruit pendant le premier quart d’heure ; car au bout de ce temps ils seraient déja loin de toute habitation.
CHAPITRE XII.
Le Billet.
Grande fut la surprise du jeune chevalier de Valence et du révérend père Jérôme, lorsque, après avoir enfoncé la porte de la cellule, ils n’y aperçurent pas le jeune pèlerin ; et d’après les vêtemens qu’ils y trouvèrent, ils virent qu’ils avaient toute raison de croire que la novice à l’œil unique, sœur Ursule, l’avait accompagné dans son évasion. Mille pensées se présentèrent à la fois à l’esprit de sir Aymer, toutes pour lui montrer combien il s’était laissé honteusement jouer par les artifices d’un bambin et d’une novice. Son révérend compagnon d’erreur n’éprouvait pas moins de contrition pour avoir recommandé au jeune chevalier d’user avec modération de son autorité. Père Jérôme n’avait obtenu son élévation au grade d’abbé que sur la foi de son zèle pour la cause du monarque anglais, zèle affecté cependant avec lequel il ne savait trop comment concilier sa conduite de la nuit précédente. On commença tout de suite des perquisitions, mais on ne put seulement découvrir que le jeune pèlerin s’était certainement évadé avec lady Marguerite de Hautlieu, événement dont les femmes du monastère témoignèrent une grande surprise mêlée de beaucoup d’horreur ; tandis que celle des hommes, qui apprirent bientôt cette nouvelle, fut modérée par une sorte d’étonnement qui semblait être fondé sur l’excessive différence des avantages physiques des deux fugitifs.
« Sainte Vierge ! dit une nonne, qui se serait imaginé qu’une religieuse de si grande espérance, sœur Ursule, si récemment encore baignée dans les pleurs que lui arrachait la mort prématurée de son père, fût capable de s’enfuir avec un jeune homme à peine âgé de quatorze ans ? »
« Bienheureuse Sainte-Bride ! dit l’abbé Jérôme, et quel motif a pu décider un si beau jeune homme à seconder un cauchemar tel que sœur Ursule, pour qu’elle commît une si grande atrocité ? Assurément il ne peut alléguer pour excuse ni tentation ni séduction, mais il faut qu’il soit allé, comme on dit, vers le diable avec un torchon. »
« Je vais envoyer mes soldats à la poursuite des fugitifs, dit de Valence, à moins que cette lettre, que le pèlerin doit avoir laissée exprès, ne contienne des éclaircissemens sur notre mystérieux prisonnier. »
Après en avoir examiné le contenu avec quelque surprise, il lut à haute voix : « Le soussigné, qui naguère logea au monastère de Sainte-Bride, vous informe, père Jérôme, abbé du susdit couvent, que, vous voyant disposé à le traiter en captif et en espion dans le sanctuaire où vous l’avez reçu comme malade, il a pris le parti d’user de sa liberté naturelle que vous n’avez aucun droit de lui ôter, et en conséquence s’est évadé de votre abbaye. D’ailleurs, trouvant la novice, appelée dans votre couvent sœur Ursule, qui, d’après les règlemens et la discipline monastiques, est parfaitement libre de rentrer dans le monde, à moins qu’il ne lui plaise, après une année de noviciat, de se déclarer sœur de votre ordre, déterminée à faire usage de son privilége, je saisis avec joie l’occasion de sa compagnie, puisqu’elle n’exécute qu’une très légitime résolution, conforme à la loi de Dieu et
Weitere Kostenlose Bücher