LE CHÂTEAU DANGEREUX
aux chevaliers de cette époque. Son armure était habilement peinte de façon à représenter un squelette, les côtes étant figurées par son corselet et la pièce d’acier qui lui couvrait le dos. Son bouclier représentait un hibou les ailes étendues, devise qui était répétée sur le casque, lequel paraissait complétement couvert par une image de ce même oiseau de mauvais augure. Mais ce qui était particulièrement propre à exciter la surprise du spectateur, c’étaient la haute taille et l’extrême maigreur de l’individu, qui, lorsqu’il se releva de terre et reprit une posture droite, parut ressembler plutôt à un fantôme au moment où on le tire de la tombe qu’à un homme ordinaire se remettant sur ses pieds. Le cheval sur lequel était montée la dame recula de frayeur et produisit un son aigu avec ses narines, soit épouvanté du soudain changement de posture de cet affreux échantillon de la chevalerie, soit désagréablement affecté par quelque odeur qui accompagnait sa présence. La dame elle-même manifesta quelque crainte ; car, quoiqu’elle ne crût pas tout-à-fait être en présence d’un être surnaturel, cependant, parmi les déguisemens bizarres et à demi insensés que prenaient les chevaliers d’alors, c’était assurément le plus étrange qu’elle eût jamais vu ; et considérant combien les chevaliers de cette époque avaient souvent poussé jusqu’à la folie leurs inconcevables caprices, il ne paraissait nullement sans danger de rencontrer un homme accoutré des emblèmes du roi des terreurs lui-même, seul et au milieu d’une forêt déserte. Quels que fussent néanmoins le caractère et les intentions du chevalier, elle résolut de l’accoster avec le langage et les manières observées dans les romans en semblables occasions, espérant que, quand même il serait fou, il pourrait être pacifique et sensible à la politesse. » « Sire chevalier, dit-elle du ton le plus ferme qu’elle put prendre, je suis vraiment fâchée, si par mon arrivée soudaine j’ai troublé vos méditations solitaires. Mon cheval, s’apercevant, je crois, de la présence du vôtre, m’a amenée ici sans que je susse qui ou quoi je devais rencontrer. »
« Je suis un être, répondit l’étranger d’un ton solennel, que peu de gens cherchent à rencontrer, avant que vienne le temps où ils ne peuvent plus m’éviter. »
« Sire chevalier, répliqua lady de Berkely, vous parlez de manière à mettre vos paroles d’accord avec le rôle affreux dont il vous a plu de prendre les marques distinctives. Puis-je m’adresser à un homme dont l’extérieur est si formidable pour lui demander quelques instructions, relativement à la route que je dois suivre au milieu de ce bois sauvage ? Ainsi, par exemple, comment se nomme le château, la ville ou l’hôtellerie la plus proche, et par quel chemin puis-je y arriver le plus promptement ? »
« C’est une singulière audace, répondit le chevalier de la Tombe, que d’oser entrer en conversation avec celui qu’on appelle l’inexorable, l’implacable et l’impitoyable, celui que même le plus misérable des hommes craint d’appeler à son secours, de peur que sa prière ne soit trop tôt exaucée. »
« Sire chevalier, répliqua lady Augusta, le caractère que vous avez pris, incontestablement pour de bonnes raisons, vous ordonne de tenir un pareil langage ; mais quoique votre rôle soit vilain, il ne vous impose pas, je présume, la nécessité de rejeter au loin cette politesse à laquelle vous devez vous être engagé en prononçant les grands vœux de la chevalerie. »
« Si vous consentez à vous laisser conduire par moi, reprit le fantôme, il est une seule condition à laquelle je puis vous donner les renseignemens que vous me demandez, et c’est que vous suiviez mes pas sans m’adresser aucune question sur le but de notre voyage. »
« Je crois qu’il faut que je me soumette à vos conditions, répondit-elle, s’il vous plait en effet de vouloir bien me servir de guide. J’imagine que vous êtes un de ces malheureux gentilshommes d’Écosse qui sont maintenant en armes, dit-on, pour la défense de leurs libertés. Une téméraire entreprise m’a amenée dans la sphère de votre influence ; et actuellement la seule faveur que j’aie à vous demander, à vous, à qui je n’ai jamais ni fait ni voulu de mal, c’est de me conduire, comme votre connaissance du pays vous permet aisément de le
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