LE CHÂTEAU DANGEREUX
lentement jusqu’à l’instant où ils parurent arriver sur le bord d’un ravin qui était une des nombreuses irrégularités de la surface du terrain, et formé par les torrens soudains particuliers à cette contrée, qui, serpentant parmi les arbres et les taillis, offraient, pour ainsi dire, un nid de cachettes communiquant l’une avec l’autre, de sorte qu’il n’y avait peut-être pas de lieu au monde plus propre à une embuscade. L’endroit où l’habitant des frontières Turnbull avait opéré son évasion durant la partie de chasse présentait un échantillon de ce pays coupé, et peut-être communiquait-il aux différens buissons et passages par lesquels le chevalier et le pèlerin semblaient diriger leur route, quoique ce ravin fût à une distance considérable du chemin qu’ils suivaient alors.
Cependant le chevalier avançait toujours, mais paraissant plutôt vouloir égarer lady Augusta au milieu de ces bois interminables que suivre aucune route fixe et déterminée. Tantôt ils montaient, et tantôt ils semblaient descendre dans la même direction, ne trouvant que des solitudes sans bornes et les combinaisons variées d’une campagne toute couverte de bois. Telle partie de la contrée qui paraissait labourable, le chevalier semblait l’éviter soigneusement : néanmoins il ne pouvait diriger sa marche avec tant de certitude, qu’il ne traversât point parfois les sentiers que parcouraient les habitans et les cultivateurs qui ne montraient aucune surprise à la vue d’un être si singulier, mais ne manifestaient jamais, comme l’observait la dame, aucun signe de reconnaissance. Il était aisé d’en conclure que le spectre-chevalier était connu dans le pays, et qu’il y possédait des partisans et des complices qui du moins étaient assez ses amis pour ne pas donner l’alarme, ce qui aurait pu le faire découvrir. Le cri bien imité du hibou, hôte trop fréquent de cette solitude pour que ces sons fussent un motif de surprise, semblait être un signal généralement compris parmi eux, car on l’entendait dans différentes parties du bois ; et lady Augusta, qui avait acquis l’expérience de ces voyages par ses premières excursions sous la conduite du ménestrel Bertram, put remarquer qu’en entendant ces cris sauvages, son guide changeait la direction de sa course, et prenait des sentiers qui les conduisaient dans des solitudes plus profondes et des buissons plus impénétrables. Cette circonstance arrivait si souvent qu’une nouvelle alarme s’empara de l’infortunée pèlerine, et lui suggéra d’autres motifs de terreur. N’était-elle pas la confidente, et presque l’instrument de quelque artificieux dessein, combiné sur un vaste plan et se rattachant à une opération dont le but était, comme les efforts de Douglas l’avaient toujours tenté, la reprise de son château héréditaire, le massacre de la garnison anglaise, et enfin le déshonneur et la mort de ce sir John de Walton, du destin duquel elle avait long-temps cru ou cherché à croire que le sien dépendait ?
L’idée ne fut pas plus tôt venue à l’esprit de lady Augusta, qu’elle frissonna des conséquences que pouvaient avoir les ténébreuses transactions où elle se trouvait mêlée, et qui paraissaient prendre une tournure si différente de ce qu’elle avait pensé d’abord.
Les heures de la matinée, de ce jour remarquable (c’était le dimanche des Rameaux) se passèrent ainsi à errer d’un lieu dans un autre ; tandis que lady de Berkely suppliait de temps à autre son guide de lui rendre sa liberté, supplications qu’elle tâchait d’exprimer en termes les plus touchans et les plus pathétiques, ou bien elle lui offrait des richesses et des trésors sans que son étrange compagnon daignât lui faire aucune réponse.
Enfin, comme las de l’importunité de sa captive, le chevalier, se rapprochant du cheval de lady Augusta, dit d’un ton solennel :
« Je ne suis pas, comme vous pouvez bien croire, un de ces chevaliers qui courent les bois et les solitudes, cherchant des aventures par lesquelles je puisse obtenir grace aux yeux d’une gentille dame ; cependant j’accéderai jusqu’à un certain point à la requête que vous sollicitez si ardemment, et la détermination de votre sort dépendra du bon plaisir de celui à la volonté duquel vous avez dit être prête à soumettre la vôtre. Dès notre arrivée au lieu de notre destination, qui n’est plus éloigné,
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