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Le cheval de Troie

Le cheval de Troie

Titel: Le cheval de Troie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Colleen McCullough
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repliée sous l’autre. Les doigts de sa main blessée étaient recroquevillés comme des serres, son cou et son dos s’étaient raidis ; il avait dû rouler face contre terre, écrasé par Déiphobos. Puis Hélénos, en tombant sur eux deux, avait dû le faire basculer. La flèche s’était brisée et de l’œil de Pâris saillait un fragment de la hampe de saule. Un mince filet de sang noir formait une tache sur les dalles de marbre.
    J’ai dû crier, car tous deux se retournèrent pour voir.
    — Il est mort, Déiphobos, soupira Hélénos.
    — Pâris ? Pâris, mort ? reprit Déiphobos en secouant la tête.
    Alors ils l’emmenèrent. Seules les marques de ses mains sur ma tunique et les taches rouges sur le dallage tout blanc me rappelaient que mon mari avait jamais existé. Au bout d’un moment, j’allai à la fenêtre et regardai dehors, sans rien voir. Je restai là jusqu’à la tombée de la nuit, mais je suis incapable de me rappeler à quoi je pensais alors.
    L’abominable vent qui souffle toujours sur Troie gémissait dans les tours quand on frappa à ma porte. Un héraut s’inclina devant moi.
    — Princesse, le roi te convoque à la salle du trône.
    — Bien, annonce-lui que j’arrive.
     
    La grande salle était plongée dans la pénombre. Autour de l’estrade, des lampes qui brûlaient par intermittence nimbaient d’une douce lumière jaune le roi assis sur son trône, ainsi que Déiphobos et Hélénos debout de chaque côté de lui. Ils se jetaient des regards hostiles.
    — Que veux-tu, seigneur ? demandai-je, immobile au pied des marches.
    L’air courroucé, il se pencha en avant. Le déplaisir qu’on lisait sur son visage était plus vif que les autres sentiments qu’on y devinait : chagrin, angoisse et désespoir.
    — Ma fille, tu viens de perdre un époux et j’ai perdu un autre de mes fils. Je ne sais plus combien sont morts, murmura-t-il d’une voix tremblante. On m’a enlevé les meilleurs. À présent ces deux-là viennent me voir, pleins de hargne ; ils grondent et se chamaillent quand le corps de leur frère est encore chaud. Chacun est résolu à obtenir ce qu’il désire.
    — C’est-à-dire ? demandai-je, exaspérée au point de me montrer peu courtoise. En quoi cette querelle entre eux me concerne-t-elle ?
    — Oh, elle te concerne bel et bien ! rétorqua sèchement le vieil homme. Déiphobos te veut pour femme. Hélénos aussi. Dis-moi lequel tu préfères.
    — Ni l’un ni l’autre ! ripostai-je, indignée et le souffle coupé.
    — Il faudra bien que ce soit l’un ou l’autre ! déclara le roi, qui semblait trouver la situation piquante, voire cocasse. Donne-moi son nom. Tu devras l’épouser au terme des six prochaines lunes.
    — Six lunes ! s’écria Déiphobos. Pourquoi attendre six lunes ? Je la veux maintenant, père, tout de suite !
    — Ton frère vient de périr, répondit Priam en se redressant.
    — Ne te tracasse point, seigneur, répliquai-je. J’ai été mariée deux fois déjà. Je ne veux pas d’un troisième époux. J’ai l’intention de me consacrer à la Mère et de la servir jusqu’à la fin de mes jours. Le mariage est donc exclu.
    Déiphobos et Hélénos protestaient tant et plus, quand Priam les fit taire d’un geste.
    — Silence, écoutez-moi ! Déiphobos, tu es l’aîné de mes fils et l’héritier désigné. Tu pourras épouser Hélène au terme de six lunes, pas avant ! Quant à toi, Hélénos, tu es consacré au seigneur Apollon. Il devrait t’être plus cher que n’importe quelle femme, même celle-ci.
    Déiphobos poussa des hourras. Hélénos parut abasourdi mais, comme je les observais, stupéfaite, il sembla soudain n’être plus le même. Il regarda son père dans les yeux et déclara :
    — Toute ma vie, j’ai vu les autres satisfaire leurs désirs, père, tandis que je demeurais affamé et assoiffé. Personne ne m’a demandé si je désirais servir le dieu : je lui ai été consacré le jour de ma naissance. Quand Hector est mort, tu aurais fait de moi ton héritier, si le dieu n’y avait fait obstacle. Après la mort de Troïlos, une fois de plus tu as préféré quelqu’un d’autre. Je te demande une chose insignifiante, et tu me la refuses encore. Eh bien, conclut-il en se redressant fièrement, il arrive un temps où même le plus humble se révolte. Ce moment est arrivé. Je quitte Troie. Mieux vaut être inconnu et errer sans but que rester ici et voir Déiphobos

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