Le cheval de Troie
qu’il sentait, rua et s’enfuit. On me ramena au palais. Mais ils ne réveillèrent pas Priam. Ils réveillèrent Déiphobos.
J’attendis sans bouger pendant qu’il se levait et le regardai calmement quand il apparut. Il remercia poliment les gardes et leur donna une gratification. Quand ils furent partis après force courbettes, il ouvrit tout grand le rideau de sa chambre.
— Entre, dit-il.
Je ne bougeai pas.
— Tu voulais voir ton mari. Eh bien, me voici.
— Nous ne sommes pas mariés et tu as déjà une femme.
— Plus maintenant, j’ai divorcé.
— Pas de mariage avant six lunes, Priam l’a décrété.
— Mais, ma chère, c’était avant que tu n’essaies de t’enfuir et de rejoindre Ménélas. Quand père apprendra cela, il ne me mettra plus de bâtons dans les roues. Surtout lorsque je l’informerai que le mariage a déjà été consommé.
— Tu n’oserais pas ! lançai-je avec hargne.
En guise de réponse, il me saisit l’oreille d’une main et le nez de l’autre et me fit entrer dans la chambre de haute lutte. Étourdie par la douleur, incapable de me dégager de son emprise, je m’affalai sur le lit. La mort seule est plus atroce que le viol. J’eus une dernière pensée avant de me mettre sous la protection de la Mère. Un jour je violerais Déiphobos de la pire façon qui soit : je le tuerai.
31
Récit de Diomède
Peu de temps après le raid manqué des Troyens, Agamemnon convoqua un conseil, bien que Néoptolème ne fût pas encore arrivé. L’ambiance sur la plage était à l’optimisme ; le seul obstacle, c’étaient les murailles. Peut-être, si Ulysse se mettait à l’ouvrage, parviendrions-nous à les franchir. Nous riions et plaisantions entre nous, tandis qu’Agamemnon badinait avec Nestor. Puis il leva son sceptre et en frappa le sol.
— Ulysse, je crois que tu es porteur de nouvelles.
— Oui, seigneur. D’abord j’ai trouvé un moyen pour faire une brèche dans les murs de Troie, mais il est encore prématuré d’en parler. Par ailleurs, j’ai des nouvelles plus intéressantes. J’ai entendu quelques bribes des ragots qui circulent dans la citadelle à propos de certains désaccords entre Priam, Hélénos et Déiphobos, poursuivit-il en regardant Ménélas. Au sujet d’une femme. Hélène pour être précis. La pauvre ! Après la mort de Pâris, elle souhaitait se consacrer au service de Mère Kubaba, mais Déiphobos et Hélénos ont tous deux demandé à l’épouser. Priam a choisi Déiphobos, qui l’a alors épousée de force. La Cour en a été mécontente, mais Priam a refusé d’annuler le mariage. Apparemment, on aurait surpris Hélène en train de s’enfuir pour te rejoindre, Ménélas.
Cette affaire a tant dégoûté Hélénos, le fils prêtre, qu’il a décidé de s’exiler volontairement. Je l’ai intercepté en dehors de la cité avec l’espoir que sa déception serait assez profonde pour qu’il veuille bien me parler des oracles de Troie. Quand je l’ai trouvé, il était à l’autel consacré à l’Apollon thymbrien qui, m’informa-t-il, lui avait ordonné de répondre à mes questions. J’ai demandé qu’il me révèle tous les oracles de Troie. Hélénos m’en a rapporté des centaines ! Cependant, j’ai fini par apprendre ce que je souhaitais savoir.
— Un vrai coup de chance, dit Agamemnon.
— On invoque la chance bien trop souvent, seigneur. Ce n’est pas elle qui mène au succès, c’est le labeur acharné. La chance, c’est ce qui se produit au moment où l’on jette les dés. Quand une prise tombe entre les mains d’un homme qui a travaillé dur pour l’obtenir, c’est uniquement le résultat de ses efforts.
— Certes, certes, acquiesça le grand roi, qui regrettait les termes qu’il avait employés. Excuse-moi, Ulysse ! Le dur labeur, encore et toujours ! Je le sais, je l’admets. Maintenant parle-nous des oracles.
— Trois seulement nous concernent. Par chance il n’y a pas d’obstacle insurmontable. Voici ce qu’ils annoncent : Troie tombera cette année si les chefs grecs possèdent l’omoplate de Pélops, si Néoptolème prend part à la bataille et si Troie perd le Palladion de Pallas Athéna.
Je bondis, tout excité.
— Ulysse, j’ai l’omoplate de Pélops ! Le roi Pitthée me l’a confiée après la mort d’Hippolyté. Le vieil homme m’aimait et c’était sa plus précieuse relique. Il m’a assuré qu’il préférait me la donner plutôt
Weitere Kostenlose Bücher