Le cheval de Troie
Mais tu es un infirme et je suis bien trop vieux. Aussi, je le répète, j’envoie une ambassade à Salamine aussitôt que possible. Est-ce entendu, à présent ?
— Tu es le roi et la décision t’appartient, répliqua sèchement Anténor. Quant aux duels, tu peux s’il te sied te prétendre trop vieux, mais comment oses-tu déclarer que je suis un infirme incapable de te défier ? Rien ne me ferait plus plaisir !
Sur ce, il sortit. Mon père se rassit en grommelant.
Je me levai et me surpris à prendre la parole.
— Seigneur, je me porte volontaire pour mener l’ambassade. Je dois de toutes façons me rendre à l’étranger pour être purifié de la mort du fils d’oncle Anténor.
— Pâris, je te félicite ! s’exclama Hector en applaudissant.
— Et moi, seigneur ? Je suis l’aîné. Ce devrait être moi ! maugréa Déiphobos.
Hélénos prit le parti de Déiphobos ; je n’y pus croire, car Hélénos détestait notre frère aîné.
— Père, envoie donc Déiphobos à sa place ! Si Pâris s’y rend, Troie versera des larmes de sang, j’en ai le pressentiment !
Qu’importaient les larmes de sang ? Le roi Priam avait choisi ; il me confia l’ambassade. Quand les autres furent partis, je restai auprès de lui.
— Pâris, je suis ravi.
— Alors je suis récompensé, père. Si je ne peux ramener ma tante Hésione, peut-être ramènerai-je une princesse grecque ?
— Les princesses grecques ne manquent pas, mon fils. J’admets que leur rendre œil pour œil serait une fort bonne leçon, s’esclaffa Priam.
Je lui baisai la main. Sa haine implacable pour la Grèce et pour tout ce qui était grec était bien connue ; ma plaisanterie était stupide, mais au moins l’avait-elle réjoui.
Comme l’hiver tirait à sa fin, j’allai à Sigée pour discuter de la préparation de la flotte avec les capitaines et les marchands qui en feraient partie. Je voulais vingt gros navires avec équipages complets et cales vides. L’expédition était à la charge de l’État, aussi les candidats seraient-ils fort nombreux. J’étais moi-même impatient de me lancer dans l’aventure. Bientôt je verrais des pays lointains, des contrées que nul Troyen ne pouvait espérer visiter. Des villes grecques.
Une fois l’entretien terminé, je quittai la maison du capitaine de port pour respirer l’air frais et vif et contemplai la plage, débordante d’activité. Autour de navires tirés en cale sèche sur les galets, des marins s’assuraient qu’ils étaient en état de reprendre la mer. Un énorme vaisseau rouge manœuvrait près de la côte, les yeux peints à l’avant de la coque me fixaient et la figure de proue représentait ma déesse, Aphrodite. Quel charpentier l’avait vue, et dans quel rêve, pour en avoir si merveilleusement reproduit les traits ?
Le capitaine trouva enfin assez d’espace pour échouer son navire ; on déroula les échelles de corde. À la proue flottait un étendard royal, brodé de pourpre et frangé d’or. Un roi était à bord ! Je m’avançai lentement, après avoir remis en place les plis de mon manteau.
Le personnage royal descendit avec précaution. Un Grec. On le voyait à la façon dont il était vêtu, à cet air supérieur que même le plus humble des Grecs affiche lorsqu’il se trouve en présence d’étrangers. Mais je perdis toute appréhension lorsqu’il approcha. Quel air quelconque ! Ni particulièrement grand ou beau et roux ! Pourtant, c’était bien un Grec. Son manteau de cuir était teint en pourpre, frappé d’or, frangé d’or, ceinturé d’or et de pierres précieuses. Autour du cou, un collier pareil à sa ceinture. Un homme des plus riches.
Il me vit et se dirigea vers moi.
— Bienvenue sur les côtes troyennes, Majesté, dis-je avec respect. Je suis Pâris, fils de Priam.
— Merci, altesse. Je suis Ménélas, roi de Lacédémone et frère d’Agamemnon, le grand roi de Mycènes.
— Accepterais-tu de partager mon char pour te rendre dans la cité, roi Ménélas ? demandai-je.
Mon père faisait audience, comme chaque jour. Je chuchotai quelques mots au héraut, qui salua et ouvrit les doubles portes.
— Le roi Ménélas de Lacédémone, tonna-t-il.
Nous entrâmes. La Cour était pétrifiée. Mon père paraissait tendu et serrait si fort son sceptre que sa main en tremblait. Si mon compagnon s’aperçut qu’un Grec n’était pas le bienvenu ici, il n’en montra rien. La salle et ses
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