Le cheval de Troie
décorations ne paraissaient guère l’impressionner.
Mon père descendit de l’estrade et tendit la main.
— Tu nous honores, roi Ménélas, dit-il.
Montrant une grande banquette garnie de coussins, père saisit le bras du visiteur.
— Voudrais-tu t’asseoir ? Pâris, joins-toi à nous, mais commence par aller quérir Hector et fais apporter des rafraîchissements.
La Cour, silencieuse, s’interrogeait, mais ne pouvait rien entendre de la conversation qui suivit.
Après les échanges de civilités, mon père questionna son hôte :
— Qu’est-ce qui t’amène à Troie, roi Ménélas ?
— Une question vitale pour mon peuple. Ce que je recherche ne se trouve pas en terre troyenne, mais cela m’a paru le meilleur endroit pour commencer mon enquête.
— Explique-toi.
— Seigneur, mon royaume est dévasté par la peste. Comme mes prêtres ne pouvaient en déceler la cause, j’ai envoyé consulter la Pythie à Delphes. Elle m’a fait savoir que je devais aller en personne chercher les os des fils de Prométhée et les ramener à Amyclées, ma capitale, pour les enterrer. Alors seulement la peste cessera.
Ah ! Sa mission n’avait donc nul rapport avec tante Hésione, la pénurie d’étain et de cuivre, ou l’interdiction de commercer. C’était bien plus banal. Pour combattre la peste, il fallait prendre des mesures extraordinaires, ainsi y avait-il toujours un roi qui voyageait de par le monde en quête d’une chose ou d’une autre qu’il devait, selon les oracles, rapporter dans son pays. Je me demandais parfois s’il ne s’agissait pas tout simplement d’expédier le roi ailleurs en attendant que la peste s’éteigne d’elle-même, car s’il restait dans son pays, il risquait de succomber à la maladie ou d’être lynché rituellement.
Naturellement, il nous fallut offrir le logis au roi Ménélas. En effet, peut-être le roi Priam serait-il par la suite amené à lui demander assistance pour des raisons similaires. Les personnes de sang royal, quels que soient leurs différends, ont – face à certaines situations – l’esprit de corps. Aussi, pendant que Ménélas visitait notre cité, les émissaires de mon père allèrent-ils s’enquérir du lieu où se trouvaient les os des fils de Prométhée et apprirent qu’ils étaient en Dardanie. Le roi Anchise protesta, mais en vain. Qu’il le veuille ou non, les reliques quitteraient son pays.
Je fus chargé de veiller au confort de Ménélas en attendant qu’il pût se rendre à Lyrnessos pour y réclamer les précieuses reliques et lui offris, selon l’usage, une femme de la Cour, pourvu qu’elle ne fût pas de sang royal.
Il éclata de rire et secoua vigoureusement la tête.
— Je n’ai besoin de nulle autre femme que mon épouse.
— Cela se peut-il ? répliquai-je étonné.
— C’est la plus belle femme qui soit, déclara-t-il gravement, en rougissant.
— Vraiment ?
— Oui, vraiment, Pâris, Hélène n’a point d’égale.
— Est-elle plus belle que la femme de mon frère Hector ?
— On ne peut comparer une étoile au soleil.
— Alors dis-m’en davantage !
Il soupira, leva les bras au ciel.
— Peut-on décrire Aphrodite ? De simples mots ont-ils le pouvoir de dépeindre la perfection ? Va plutôt voir la figure de proue de mon navire, Pâris. C’est Hélène, J’essayai de me souvenir. Mais tout ce que je me rappelais, c’étaient deux yeux verts, pareils à ceux d’un chat égyptien. Il me fallait voir cette merveille ! Je ne croyais pas un mot de ce qu’il avait dit ; la sculpture ne pouvait qu’être plus belle que l’original.
— Seigneur, je dois bientôt mener une ambassade à Salamine pour m’enquérir de ma tante Hésione auprès du roi Télamon. Mais quand je serai en Grèce, il me faudra aussi me purifier d’un meurtre que j’ai commis accidentellement. Salamine est-elle loin de Lacédémone ?
— Le voyage n’est pas trop long.
— Accepterais-tu d’accomplir pour moi les rites de purification, Ménélas ?
— Mais naturellement ! C’est la moindre des choses que je puisse faire pour te remercier de tes bontés, Pâris. Viens à Lacédémone cet été et j’accomplirai les rites. Tu ne m’as pas cru quand je t’ai parlé de la beauté d’Hélène. Ne le nie pas, tes yeux t’ont trahi. Viens donc à Amyclées en juger par toi-même, après quoi tu ne pourras que demander pardon de ton incrédulité.
Le pacte fut scellé d’une
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