Le cheval de Troie
bien sûr ! Mais tu m’as demandé que faire, et je me suis senti obligé de t’indiquer ce que me dicte la sagesse. Si cela tombe dans l’oreille d’un sourd, pourquoi m’en plaindrais-je ? Je ne suis pas le grand roi de Mycènes, je suis seulement ton loyal sujet, Ulysse, venu de la rocheuse Ithaque où, pour survivre, il faut parfois oublier des choses comme l’honneur. Je t’ai dit comment accomplir la tâche en un jour. C’est la seule façon d’y parvenir. Je t’avertis, si on donne à Priam la possibilité de fermer ses portes, tu hurleras devant ses murs pendant dix ans, comme l’a prédit Calchas.
— On peut escalader ces murs et enfoncer ces portes…
— En es-tu sûr ?
Ulysse rit de nouveau et sembla oublier notre présence. Quel esprit extraordinaire, il voyait tout de suite l’essentiel ! Si, au fond de moi, je savais que son conseil était bon, je savais également que si je le suivais, personne ne me soutiendrait. C’était offenser Zeus et commettre un sacrilège envers la nouvelle religion. Ce qui m’intriguait, c’était la façon dont Ulysse échappait à tout châtiment pour ses idées impies. On disait que Pallas Athéna l’aimait plus que tout autre et intercédait toujours en sa faveur auprès de Zeus.
— Il faut que quelqu’un se rende à Troie pour exiger de Priam le retour d’Hélène, déclarai-je.
Tous semblaient désireux de s’y rendre, mais j’avais déjà fait mon choix.
— Ménélas, en tant qu’époux d’Hélène tu te dois d’y aller. Ulysse, tu l’accompagneras, ainsi que Palamède.
— Et pourquoi pas moi ? demanda Nestor, contrarié.
— J’ai besoin de garder au moins l’un de mes conseillers, répondis-je, en espérant le convaincre.
Ulysse sortit enfin de sa rêverie.
— Seigneur, si je dois accomplir cette mission, je te demande une faveur. Donnons à Priam l’impression que nous sommes encore en Grèce où nous nous préparons à la guerre. D’après la loi, nous sommes simplement tenus de l’avertir officiellement que nous sommes en état de guerre, rien de plus. Par ailleurs, Ménélas devrait exiger des compensations pour les souffrances endurées depuis le rapt de sa femme. Il devrait exiger que Priam ouvrît à nouveau l’Hellespont à nos marchands et annulât l’interdiction faite au commerce.
— Voilà qui est fort judicieux, répliquai-je.
Nous redescendîmes vers la cité, Ulysse et Philoctète en tête, bavardant et s’esclaffant comme des gamins. Philoctète était, de loin, le plus aguerri des deux. En mourant, Héraclès lui avait fait don de son arc et de ses flèches, bien qu’à l’époque il n’eût été qu’un tout petit garçon. Tout à coup, Philoctète poussa un cri de terreur ; le visage tordu de douleur, il s’affaissa sur un genou, son autre jambe tendue.
— Qu’y a-t-il ? le pressa Nestor.
— J’ai marché sur un serpent, répondit Philoctète d’une voix entrecoupée.
La peur me paralysa. Ulysse incisa profondément les chairs à l’aide de son couteau, à l’endroit où l’on apercevait les traces de la morsure puis, à plusieurs reprises, il aspira le sang et le venin, qu’il recrachait. Il fit ensuite signe à Diomède.
— Emmène-le voir Machaon. Porte-le sans à-coups, pour éviter que le poison ne gagne les organes vitaux.
— Mon ami, dit-il à Philoctète, reste totalement immobile et ne désespère pas. Machaon n’est pas pour rien le fils d’Esculape. Il saura te soigner.
Diomède partit en avant, d’un pas souple et rapide, portant son lourd fardeau comme si Philoctète eut été un enfant. Nous marchions bien sûr à sa suite. On avait logé Machaon dans une grande maison pour qu’il y exerçât son art, car il y a toujours des malades, même avant que la guerre ne commence. Philoctète y était étendu sur un lit, les yeux clos.
— Qui a traité la morsure ? demanda Machaon.
— Moi, répondit Ulysse.
— Bravo ! Si tu n’avais pas agi aussi rapidement, il serait mort sur le champ. Ce poison est très violent.
— Quand n’y aura-t-il plus aucune inquiétude ? demandai-je.
— Je n’en ai pas la moindre idée, seigneur. Est-ce que quelqu’un a attrapé le serpent, ou du moins l’a vu ?
Nous secouâmes la tête.
— Alors je n’en sais rien, dit Machaon en soupirant.
Le lendemain, la délégation embarquait pour Troie. Nous restâmes sur l’île et nous assurâmes, au cas où des guetteurs seraient postés sur le
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