Le cheval de Troie
ses propres appartements et y vit dans le luxe. Il existe d’autres palais encore au sein de la citadelle ; Anténor en possède un, et aussi l’héritier au trône.
— Qui est-ce ?
— Hector, un fils cadet qu’il a eu de la reine Hécube. Il était présent à notre arrivée, mais il est parti presque aussitôt pour la Phrygie, chargé d’une mission urgente. Il a en vain demandé à son père d’en être dispensé. Il semble bien plus avisé que son père : il est à la tête de l’armée, en ce moment elle n’a donc plus de chef. Il a vingt-cinq ans, il est très grand, à peu près de la taille d’Achille.
— Et toi, Ulysse, qu’as-tu fait ?
— À propos d’Hector, j’ajouterai que les soldats et les gens du peuple l’aiment énormément.
— Tu n’es donc pas resté tout le temps au palais.
— Non, je me suis promené dans la cité. Ce qui m’a fort instruit. Troie est entièrement entourée de remparts. Les murailles intérieures de la citadelle sont plus hautes encore que celles de Mycènes ou de Tirynthe. Mais les murailles extérieures de la cité sont gigantesques. À Troie, les gens n’ont pas à courir à la citadelle quand un ennemi menace, puisque c ’ est là qu ’ ils vivent . La cité est composée d’une multitude de ruelles bordées de hautes maisons qui abritent des dizaines de familles.
— Selon Anténor, interrompit Palamède, on a dénombré cent soixante-dix mille habitants au dernier recensement. Priam pourrait très facilement lever une armée de quarante mille hommes à l’intérieur même de la cité, cinquante mille en recrutant aussi les hommes âgés.
— Pas assez pour contrer notre armée, dis-je en songeant à mes quatre-vingt mille hommes.
— Plus qu’assez, au contraire, répliqua Ulysse. Les murs font vingt-deux coudées de haut et au moins quinze d’épaisseur à la base. Ils sont si anciens que personne ne se rappelle quand ils ont été édifiés, ni pourquoi. Selon la légende ils seraient maudits et devraient disparaître à jamais à cause d’un acte commis par Laomédon, le père de Priam. Mais je doute que ce soient nos assauts qui les fassent disparaître. Ils sont en pente douce et les pierres en ont été polies. Nulle prise pour les échelles ou les grappins.
— N’as-tu donc remarqué aucune faille dans leur défense, Ulysse ?
— Si, seigneur, il y en a une, mais je doute qu’on puisse jamais en tirer avantage : la partie ouest de la muraille originelle s’est effondrée durant le tremblement de terre qui a ravagé la Crète. Éaque a comblé la brèche et les Troyens l’appellent maintenant le rideau ouest. Il fait deux mille cinq cents pieds de long. Les pierres sont mal équarries, avec des saillies et des creux où les grappins auraient prise. Il n’y a que trois portes la porte Scée à l’ouest, la porte de Dardanie au sud et la porte d’Ida au nord-est. Elles sont massives et hautes de quinze coudées. Un chemin de ronde les franchit sur une voûte. Il suit en son sommet la muraille extérieure, permettant aux troupes d’aller rapidement d’un point à un autre. Les portes sont faites de troncs renforcés par des pointes et des plaques de bronze. Nul bélier ne saurait les ébranler. À moins qu’elles ne fussent ouvertes, il faudrait un miracle pour pénétrer dans Troie.
— Je ne vois pas comment Troie pourrait résister à une armée aussi puissante que la nôtre. Non, vraiment !
— Agamemnon, reprit Ulysse, si les portes de Troie sont fermées, ils disposent de suffisamment d’hommes pour te tenir à distance. On peut tenter d’escalader les murailles à un seul endroit, le rideau Ouest. Mais il n’a que deux mille cinq cents pieds de long. Quarante mille défenseurs s’agglutineraient en son sommet, pareils à des mouches sur une charogne. Crois-moi, ils peuvent t’empêcher d’entrer pendant des années. À présent ils croient nos troupes encore en Grèce, mais si un de leurs bateaux de pêche passe de ce côté de Ténédos, nous sommes perdus. Et tu devras alors te préparer à une longue campagne. À moins que tu ne les affames, ajouta-t-il, l’œil étincelant.
— Ulysse, s’écria Nestor scandalisé. Voilà que tu recommences ! Les dieux nous condamneraient à la folie et ils auraient raison !
— Je sais, Nestor, répliqua Ulysse sans le moindre regret. Il semble que les règles de la guerre favorisent l’ennemi, ce qui est fort regrettable. Les affamer
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