Le Code d'Esther
ville furent les Américains. En 1945, toutes les puissances alliées tombent d’accord sur l’organisation d’un tribunal chargé de juger les criminels de guerre nazis. Reste à trouver, dans l’Allemagne dévastée, un lieu, une ville pouvant abriter un tel procès. Très vite, le choix des États-Unis se porte sur Nuremberg, pour plusieurs raisons. D’abord, c’est une ville symbole où tout a germé, à commencer par les fameuses lois antisémites de 1935. Par ailleurs, elle se trouve dans la zone contrôlée par les Occidentaux. Enfin et surtout, le palais de justice et la prison, reliés entre eux par un tunnel, ont été miraculeusement épargnés par les bombardements alliés, ainsi que l’hôtel de ville et le Grand Hôtel. Situation exceptionnelle qui aurait fait dire au général soviétique Nikitchenko s’adressant au juge américain Biddle : « J’ai l’impression que les pilotes de vos bombardiers songeaient déjà au procès : ils n’ont épargné que le palais de justice. Vous autres, Américains, vous pensez toujours à tout 1 ! »
Quoi qu’il en soit, sitôt le site de Nuremberg approuvé par les quatre puissances (États-Unis, Grande-Bretagne, France et Union soviétique), les troupes américaines vont transformer un champ de ruines en banlieue de Washington. Elles rétablissent l’électricité, l’eau, le téléphone et les transports publics. Çà et là, on construit des habitations provisoires, on répare les rues où circulent des véhicules militaires sur lesquels flotte la bannière étoilée. On trouve même une résidence pour les journalistes accourus du monde entier : l’invraisemblable demeure du roi du crayon, Faber, mélange improbable des styles mauresque, art déco et rococo.
Le soir, militaires, juges et journalistes se retrouvent au Grand Hôtel pour dîner, boire, rire et danser au-dessus du volcan, minuscule îlot de civilisation au milieu d’un paysage dévasté. Les cuivres de l’orchestre résonnent tard dans la nuit ; leurs échos vont mourir à quelques centaines de mètres de là, parmi les gravats et les abris de fortune où s’entassent des familles allemandes. Certains occupants s’en soucient, mais sans s’appesantir : après tout, qui sont les véritables responsables de cette situation ? Ils croupissent à la prison de Nuremberg, attendant de passer en jugement, essayant de comprendre dans leurs insomnies ce qui leur arrive, à eux les anciens maîtres du monde.
Le 20 novembre 1945, enfin, à 10 heures du matin, s’ouvre le procès de Nuremberg. Il durera onze mois.
« Pour la première fois dans l’histoire, on jugeait les responsables de la guerre, ceux qui l’avaient rendue possible. Ils étaient accusés, notion complètement révolutionnaire pour l’époque, de “complot contre la paix”. De là allaient découler les “crimes de guerre” et les “crimes contre l’humanité” », m’explique Annette Wieviorka lors d’un entretien. Historienne, elle est une spécialiste du procès de Nuremberg et a consacré sa vie aux recherches sur la Shoah. Les yeux vifs derrière des lunettes rondes, les cheveux courts, un peu frisés, traversés çà et là par quelques filaments de sagesse, elle parle d’une voix rocailleuse, lointain vestige, sans doute, de nuits de travail embrumées par la fumée de cigarette.
« C’est le début de la justice internationale. Le tribunal de La Haye n’existerait pas aujourd’hui sans le précédent de Nuremberg. Alors, bien sûr, tout n’a pas été parfait. Il n’y a eu, par exemple, aucune analyse des conditions qui avaient amené la guerre, aucune critique de la lâcheté des grandes puissances qui ont laissé faire Hitler. Mais ils n’étaient pas là pour ça. Les criminels ont eu droit à un procès en bonne et due forme. C’était déjà un immense progrès lorsque l’on sait que Staline voulait faire fusiller des centaines de milliers d’Allemands !
» Et puis, il y avait aussi quelque chose de très choquant : la position de l’Union soviétique, accusatrice, sans que personne n’osât mentionner le pacte de non-agression signé avec Hitler, l’invasion de la Pologne, le massacre de Katyn… sans parler des camps de concentration qui se multipliaient à l’époque sous l’impulsion de Staline, le Petit Père des peuples…
» Mais ce n’était sans doute ni le lieu ni l’heure pour ce genre de considération… Reste que le procès de
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