Le Code d'Esther
salle 600 a repris ses activités depuis la rénovation et qu’elle est réservée aux crimes de sang – elle conserve ainsi son caractère exceptionnel –, avant de m’entraîner vers le troisième étage, vers le musée proprement dit…
C’est le choc ! Ils sont là, les vingt et un accusés du procès de Nuremberg, devant moi. J’ai l’impression qu’en avançant la main je pourrais presque les toucher. Leurs visages, sérieux, goguenards ou méprisants, s’étalent sur deux immenses panneaux reconstituant les deux rangs du banc des accusés. L’agrandissement de la photo est tel qu’ils ont pris possession de la salle, à hauteur du visiteur. Certains sont affalés, quelques-uns paraissent accablés. D’autres, surtout les militaires, se maintiennent raides en regardant droit devant eux. Certains posent nonchalamment un bras sur la balustrade, les écouteurs de la traduction sur les oreilles. Et puis, il y a ceux qui prennent des notes, comptant s’en servir plus tard pour assurer leur défense. Une douzaine de GI, casque blanc sur la tête, les encadrent, les mains dans le dos, le regard vide.
Devant eux, les avocats de la défense. À l’opposé, les juges, tournant le dos aux fenêtres dont on a tiré les lourds rideaux afin d’éviter un attentat et pour que la lumière du jour ne gêne pas la projection de films sur les camps de concentration. À leur gauche, les traducteurs, séparés par des vitres, qui assurent pour la première fois dans une instance internationale une traduction simultanée dans les quatre langues du procès : allemand, anglais, français et russe. Au centre, les procureurs des quatre puissances, Américains, Britanniques et Français en robes d’avocat, Soviétiques en uniformes militaires. Et derrière eux les journalistes, tellement nombreux que l’on en a installé une partie dans la salle, sur les bancs du public, et une autre à l’étage, où l’on a pratiqué deux larges ouvertures afin de leur permettre de suivre les débats. Parmi eux, on aperçoit Ilya Ehrenbourg, Lucien Bodard, Casamayor ou encore Joseph Kessel, qui écrira sur Nuremberg des pages d’anthologie.
« Tous les matins, à chaque reprise d’audience, notera l’auteur des Cavaliers , les militaires claquent les talons. Les civils se serrent la main. Les uns sourient. D’autres ont les yeux soucieux. Certains visages ne montrent aucune expression. Ils s’assoient, s’installent, causent entre eux ou avec leurs défenseurs. Mais aucun […] ne porte sur le front ou dans les yeux la moindre trace, le moindre reflet, la plus petite justification de leur gloire passée, ou du terrifiant pouvoir qui fut le leur.
» Et pourtant, il y a un an, il y a douze mois, Rundstedt n’avait pas encore lancé la contre-offensive des Ardennes. Un froncement de sourcils de Göring faisait alors trembler l’Allemagne, et l’Autriche, et la Bohême, et la Norvège, et les Pays-Bas ! Le voilà accoudé, le dos rond. Son uniforme gris clair qui tire sur le blanc sale flotte autour de lui. Son visage meurtri ressemble à celui d’une vieille femme méchante. »
Les voici donc, les vingt et un, parqués dans un espace de quelques mètres carrés, sévèrement gardés, prêts à répondre de leurs crimes devant une cour internationale. Au deuxième rang, en partant de la gauche, il y a d’abord l’amiral Karl Dönitz, qui semble se cacher derrière d’épaisses lunettes noires. Chef de la Kriegsmarine avec le titre de grand amiral, il fut jusqu’au bout fidèle à Hitler, qui le nomma pour prendre sa succession le 30 avril 1945. Il forma un gouvernement qui signa la capitulation sans condition une semaine plus tard, le 8 mai 1945. Son absence de lien avec le mouvement nazi lui vaudra la clémence des juges. Condamné à dix ans de prison, il purgera sa peine et mourra dans l’anonymat en 1980.
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À sa gauche, Erich Raeder. Il a délaissé son uniforme, comme s’il en avait honte, au profit de vêtements civils. Amiral, il est à l’origine du réarmement de la marine allemande en dépit du traité de Versailles. En 1943, il démissionne de son poste de commandant en chef de la marine allemande après la décision de Hitler de désarmer les grands navires de surface au profit des seuls sous-marins. C’est son voisin de banc, Dönitz, qui le remplacera.
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