Le Code d'Esther
Nuremberg constitue une immense avancée dans l’histoire de la justice et d’une manière générale dans l’histoire de la civilisation. »
Et me voici devant le palais de justice de Nuremberg. C’est donc ici que tout s’est déroulé. De l’extérieur, le bâtiment de trois étages est intact, avec ses murs constitués de gros blocs de granit surmontés de longs toits pointus, typiquement bavarois. Il fait face à une cour pavée, bordée de rares arbustes, qui sert aujourd’hui de parking. Quelques visiteurs se pressent déjà devant l’immense portail en bois massif et attendent patiemment d’avoir le privilège de pénétrer dans ce lieu historique. Le temps de récupérer leur audioguide, sorte de téléphone portable émettant en plusieurs langues, et les voilà qui gravissent les escaliers en pierre menant à la salle 600, la salle du tribunal. Près d’un an de débats, 400 audiences, 300 000 déclarations, 1 600 pages de procès-verbaux, 3 000 tonnes de documents, 94 témoins, le tout consigné dans 42 volumes de plus de 700 pages chacun : pour la première fois, les vainqueurs jugeaient les vaincus dans le respect des règles établies par la justice, loin des méthodes expéditives généralement admises jusque-là. Une situation parfaitement résumée par le procureur général américain, Robert H. Jackson, lors de son discours d’ouverture : « Que quatre grandes nations, auréolées de la victoire et blessées dans leur chair, retiennent le bras de la Vengeance et soumettent leurs ennemis prisonniers au jugement de la loi est l’un des hommages les plus importants que le pouvoir ait jamais rendus à la raison. »
Je gravis les dernières marches à la hâte et je pénètre, mon drôle de téléphone à l’oreille, dans le saint des saints.
Déception ! La salle ne correspond absolument pas aux photos en noir et blanc que je garde en mémoire : elle est entièrement tapissée de lambris de bois sombre travaillé, y compris au plafond, d’où tombent quatre lustres de cristal. Une immense croix est suspendue au-dessus du bureau du président de la cour, qui fait face aux visiteurs, encadré par deux lourdes portes en marbre vert sculpté. Sur ma droite, trois fenêtres à petits carreaux qui laissent filtrer la lumière du jour. Sur ma gauche, intact, le box des accusés, qui arrivaient par une autre de ces portes en marbre, après avoir emprunté le long tunnel qui reliait directement la prison au tribunal. Je me tourne, incrédule, vers Henrike Zentgraf, la conservatrice du musée, qui m’accompagne. « J’aurais dû vous prévenir, me dit-elle, la salle a été entièrement refaite en 1961. C’était à une époque où les Allemands voulaient tout oublier de la guerre, du procès. Ils en avaient honte. Ils disaient : “On va tout effacer et repartir de zéro.” Alors, ils ont décidé de refaire la salle 600, comme si un coup de peinture et la pose de lambris allaient modifier le cours de l’histoire. »
Henrike est jeune, elle a 36 ans. Elle n’a rien connu des horreurs de ses aînés. Elle est historienne de formation et a décidé de consacrer sa vie à cette période si particulière de son pays. Comment une société réagit-elle face à une histoire pareille ? Que fait-elle de sa morale, de ses principes ? Où est le Bien et où est le Mal ? Elle sourit en arrangeant, d’un geste élégant, une mèche de ses longs cheveux blonds, comme pour s’excuser du sérieux de ses travaux.
« Et aujourd’hui ? Les choses ont changé…
— Tout a changé ! Les Allemands ont été obligés d’affronter leur passé. Ils ont fini par accepter ce qui s’était déroulé sur leur sol. Le procès d’Adolf Eichmann en Israël les a forcés à réfléchir, à faire un véritable examen de conscience. En gros, ils se disent : “Nous n’oublierons jamais… même si le passé peut blesser.” Vivent-ils pour autant tranquillement avec ça ? C’est moins sûr. »
Chiffres à l’appui, elle me prouve la pertinence de ses propos. En 2000, 3 600 visiteurs se sont pressés pour visiter le musée. Aujourd’hui, on va sans doute dépasser les 20 000 visiteurs à l’année.
« Les Allemands se sont réapproprié le tribunal de Nuremberg. Surtout depuis la création du tribunal de La Haye. Ils se sont tout à coup sentis fiers d’avoir abrité le premier tribunal international de l’histoire. »
Elle m’explique encore que la
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