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Le Code d'Esther

Le Code d'Esther

Titel: Le Code d'Esther Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernard Benyamin , Yohan Perez
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n’était pas prévu non plus.
    Il y a d’abord ses dernières déclarations, stupéfiantes. Nous allons y revenir.
    Il y a aussi la façon dont Streicher va être exécuté. Lorsqu’il présente son cou au bourreau, celui-ci a le choix entre deux techniques pour donner la mort : le  short drop (« petite chute », provoquant la mort par strangulation) ou le long drop (« grande chute », occasionnant la rupture brutale des vertèbres cervicales et la mort instantanée). Est-ce l’attitude de Streicher, peu digne comparée à celle des autres condamnés ? Est-ce une manifestation des opinions viscéralement antinazies du sergent Woods ? Toujours est-il que celui-ci choisit intentionnellement la technique du short drop  et que pendant dix bonnes minutes les témoins vont entendre les gémissements de Streicher agonisant, étouffé par la corde, invisible derrière les rideaux noirs masquant la fosse. Il sera le seul à mourir de cette façon. Les deux médecins constatent alors le décès, et ce sera fini. Dès le lendemain de l’exécution, le sergent Woods sera relevé de ses fonctions 3 .
    En attendant, pas de temps à perdre. À 4 heures du matin, tous les condamnés ont été pendus. Les onze cercueils sont chargés dans deux camions de l’armée américaine, escortés par deux voitures armées de mitrailleuses, l’une commandée par un général américain, l’autre par un général français. La nuit est encore noire lorsque le convoi prend la direction de Fürth… suivi par une meute de journalistes. À Erlangen, on s’arrête brutalement et un officier vient parler aux journalistes. Il les avertit qu’à partir de là il serait extrêmement dangereux de continuer à suivre les camions. La menace est claire, et la colonne disparaît dans les brumes matinales de la campagne bavaroise. On saura un peu plus tard que les corps ont été incinérés à Munich et leurs cendres dispersées dans l’Isar : on avait exclu d’enterrer les cadavres dans un cimetière afin d’éviter que les sépultures ne soient transformées en autel par des nostalgiques du III e  Reich.
    Mais revenons aux derniers mots de Julius Streicher.
    J’ai devant moi les reportages de deux journalistes américains présents dans le gymnase au moment de l’exécution. Le premier texte, daté du 28 octobre 1946, émane de l’envoyé spécial de Newsweek  ; l’autre est signé de la main de Kingsbury Smith, représentant de l’International News Service, une agence de presse américaine qui fusionnera quelques années plus tard avec United Press International. Ils rapportent tous les deux la même chose, mot pour mot : des paroles incompréhensibles, déconnectées de l’événement au cours duquel elles ont été prononcées. Voilà un homme qui va mourir et qui lance des phrases mystérieuses, sans référence aucune à ce qu’il va laisser derrière lui. On est loin des « Je regrette, je suis fier, que Dieu protège l’Allemagne » entendus pendant quatre heures dans cette sinistre salle d’exécution. Streicher parle et plonge aussitôt le monde entier dans un abîme de questions. Je commence à comprendre pourquoi Yohan m’a demandé d’enquêter sur cet homme.
    Il reste encore deux marches à gravir. À bout de souffle, les deux assistants du sergent Woods, qui portent Streicher par les aisselles, s’arrêtent une seconde. C’est le moment que celui-ci attendait pour se redresser et lancer un vibrant : « Et maintenant, je vais vers Dieu ! » Le petit groupe d’observateurs frissonne. Les journalistes accrédités grattent sur leur calepin les derniers mots de Julius Streicher. Enfin, le petit groupe parvient à la plate-forme de la potence. La corde est là, mais, avant que le bourreau ne la lui passe autour du cou, il est impératif de positionner le condamné très exactement au-dessus de la trappe.
    Soudain, Streicher se tourne vers les témoins de l’exécution et se plante face à eux, les mains toujours liées dans le dos. On le voit plisser les yeux, essayant sans doute d’attraper leurs regards. Peine perdue, ce sont des ombres qui lui font face, à peine aperçoit-il les jambes ou les pieds de ces spectateurs de la dernière heure. Il crie alors – non, il hurle – ces quelques mots que l’écho du gymnase doit renvoyer aux quatre coins de la prison : « Ce sont les Juifs qui vont être contents ! C’est Pourim 1946 ! »
    Les militaires sont tétanisés,

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