Le Code d'Esther
trouvent à présent en Iran, et figurez-vous que c’est un archéologue français, plus aventurier qu’amateur d’histoire, un certain Jacques de Morgan, qui a achevé de la massacrer à la fin du xix e siècle. Seules les œuvres d’art l’intéressaient. Pour un vase ou une parure de cérémonie, il a abattu des pans entiers de muraille, réduisant à l’état de poussière ce que le temps n’avait pas encore détruit. C’est dommage quand même ! »
En général, mon père intervenait à ce moment-là et, lui qui était si peu démonstratif en temps normal, l’apostrophait pour engager avec elle une querelle que nous connaissions par cœur, comme un numéro qu’ils avaient longuement répété tous les deux :
« Bon, tu gardes tes commentaires pour tout à l’heure et tu te contentes de nous raconter l’histoire d’Esther !
— Mais il faut bien que mes enfants et petits-enfants sachent tout de cette histoire, lui répondait ma mère, indignée.
— Concentre-toi sur Esther et fais-nous grâce de tes détails archéologiques qui n’intéressent personne !
— Bien », disait-elle, faussement vexée et soumise, avant de reprendre le cours du récit…
« Un jour que le roi Assuérus donnait un grand banquet dans son palais en l’honneur d’ambassadeurs et de riches marchands, il fit appeler son épouse, la reine Vashti, pour qu’elle vînt honorer ses hôtes de sa présence. Pour l’occasion, il avait fait tendre des tissus de lin colorés sur toutes les colonnes de marbre du jardin, encadrant des divans d’or et d’argent qui s’étalaient sur un sol de nacre et de porphyre, une pierre de couleur pourpre d’où elle tirait son nom. Des dizaines de serviteurs déversaient sur les tables les mets les plus fins et servaient le meilleur vin du royaume dans des coupes en or. Des murmures de gourmandise et de satisfaction s’élevaient des tables d’invités et rythmaient le ballet incessant des domestiques. Mais la reine Vashti n’était toujours pas là. C’est alors qu’un eunuque du harem se présenta devant le roi pour lui confier que la reine refusait de venir. Assuérus entra dans une grande colère, une fureur dévorante, disent les textes. Comment osait-elle décliner une invitation du roi ? Pour qui se prenait-elle ? Qui était-elle pour refuser de se soumettre aux désirs du roi ? C’est vrai, quoi… Même dans le Code civil, il est dit qu’une femme doit obéissance à son…
— Tu recommences, intervenait mon père ! Épargne-nous tes commentaires !
— Oui, répondait ma mère, mais c’est en même temps une leçon pour les générations futures… et en particulier pour mes belles-filles, ajoutait-elle à voix basse.
— Alors commence par obéir à la parole de ton époux », lâchait mon père en souriant, certain de sortir vainqueur de cette joute, sous les yeux franchement scandalisés de mes belles-sœurs non averties.
Ma mère reprenait :
« Le roi était donc en colère. Il réunit sur-le-champ son Conseil des sages, composé des sept princes perses et mèdes qui occupaient la première place dans le royaume. Comment devait-il réagir face au défi de la reine Vashti ? Memoukân, l’un des plus sages parmi les princes, se leva et déclara que la faute de la reine n’atteignait pas seulement le roi mais aussi tous les peuples dans toutes les provinces du royaume. “Car lorsque le refus de la reine viendra à la connaissance de toutes les femmes, ajouta-t-il, elles se permettront de regarder leur mari avec mépris. Je te conseille deux mesures, ô roi : d’abord, tu dois destituer Vashti de sa condition de reine. Et, dans le même temps, tu vas envoyer à travers les 127 provinces de ton royaume tes meilleurs inspecteurs afin qu’ils ramènent à la Cour les vierges les plus belles et les plus dignes de figurer à tes côtés. Parmi elles, tu choisiras l’élue de ton cœur, qui deviendra ta reine.”
» La proposition de Memoukân plut au roi, qui s’empressa de publier un décret destituant Vashti et donnant l’ordre à ses inspecteurs de lui ramener la future reine.
» Or, juste à côté du palais royal vivait une jeune orpheline qui avait été adoptée par son oncle. Elle s’appelait Esther et faisait l’admiration de tous tant elle était belle et gracieuse. Dès l’application du décret royal, et comme elle était pure et obéissante, elle se tourna vers son oncle, Mardochée, pour savoir ce qu’elle
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