Le Code d'Esther
que le judaïsme soit à l’opposé de ce type de pratique, je craignais de me trouver face à un prédicateur maniant avec brio l’art de galvaniser son auditoire afin d’insuffler la parole divine, à la manière de ces pasteurs évangélistes qui font des ravages à travers le monde. Je m’y étais préparé malgré les dénégations de Yohan. Selon lui, l’homme que nous allions rencontrer était avant tout quelqu’un qui avait voué sa vie à l’étude et à ses élèves : il était à la tête d’une yeshivah à Jérusalem, n’acceptait que très rarement de partager ses recherches. Lorsqu’il le faisait, c’était afin de récolter des fonds pour sa petite communauté en Israël. Je préférais fourbir mes armes – m’aidant d’éléments glanés dans un examen approfondi du Livre d’Esther et dans la lecture de différents textes relatifs à la Bible. En fait, je comptais surtout sur ma longue expérience d’interviewer et mon « flair » de journaliste pour m’orienter face à mon interlocuteur.
Je me sentais tel un boxeur au moment de monter sur le ring et de livrer le combat de sa vie lorsque, à quelques heures de la rencontre, Yohan m’appela.
« Désolé, me dit-il, le Rav Bloch est obligé d’annuler. Il doit raccompagner, tard dans la soirée, son frère à l’aéroport, son séminaire l’a épuisé, et il reprend l’avion demain pour Tel-Aviv.
— Et alors, qu’est-ce qu’on fait ?
— Il revient dans un mois. Il propose que l’on se voie à ce moment-là.
— Je n’attendrai pas si longtemps, répondis-je, frustré et légèrement en colère. J’ai besoin sinon de le voir, du moins de lui parler ! Maintenant… Demain… Vite !
— Eh bien, appelle-le ! Rien de plus simple ! Je te donne son numéro à Jérusalem, laisse passer vingt-quatre heures, le temps qu’il se remette de son voyage, et il pourra répondre à toutes tes questions ! »
Le Rav Bloch allait faire beaucoup mieux que cela.
La voix est posée, les mots bien choisis, il déroule ses phrases sans accroc et n’hésite pas, au détour d’une question, à se faire plus précis, balayant les doutes, utilisant des concepts aussi tranchants que le verre : j’ai trouvé mon as de carreau !
D’emblée, il me demande si je possède Skype sur mon ordinateur. « J’aime bien voir le visage de mon interlocuteur, me dit-il, cela m’aide à développer ma pensée. » Un Rav high-tech ? En réalité, une véritable publicité ambulante pour Apple. Il m’explique, dans la foulée, que nous allons devoir passer par son iPhone, son iPad étant de la première génération et ne possédant donc pas de caméra. En deux phrases, il vient d’envoyer définitivement aux oubliettes l’image du vieux rabbin trônant dans sa bibliothèque, dépoussiérant ses livres en édition originale dont il tourne les pages en humectant son doigt. Abraham Bloch me confie que l’informatique a changé sa vie et celle de nombreux chefs religieux : « Les 3 500 pages du Talmud ne me quittent plus, sans parler de cet instrument extraordinaire que représente l’index électronique. Je ne pourrais plus me passer de ces outils ! » Il a 46 ans, est issu d’une famille traditionnelle dont le père est strasbourgeois et la mère corse d’origine turque. Petites lunettes cerclées d’or, des yeux en perpétuel mouvement, cheveux noirs et barbe sombre taillée en pointe : si les instruments dont il se sert appartiennent au xxi e siècle, son apparence physique semble vissée au xix e . Je l’aperçois assis dans ce qui doit être son bureau, vêtu d’une chemise blanche et d’un gilet noir, car en cette saison les nuits sont froides à Jérusalem.
« Avant toute chose, dites-moi votre niveau…
— D’hébreu ? Nul !
— Non, de judaïsme.
— Disons… médiocre. Je connais l’essentiel, mais seulement dans les grandes lignes.
— O.K. ! Ainsi, lorsqu’il y aura un terme technique, je vous l’expliquerai.
— Ou je vous interromprai pour que vous me l’expliquiez.
— Parfait ! Alors on y va ! Dites-moi d’abord si vous avez rencontré des gens qui vous ont daté le rouleau, la Meguila d’Esther…
— Oui, Avraham Malthète, le paléographe.
— Excellent !
— Il a également évoqué la question du Dieu caché.
— Il a bien fait ! Cela me facilite la tâche. On vous a aussi parlé de Maïmonide ou de Rambam ? Il s’agit de la même personne,
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