Le Code d'Esther

“Maïmonide” étant utilisé par les chrétiens et “Rambam” par les Juifs.
    — Oui, le Rav Gay s’en est chargé. Il nous a expliqué pourquoi Maïmonide pensait que Pourim est la seule fête qui subsistera à la fin des temps.
    — Je vois que vous avez bien travaillé ! Il me reste à vous raconter le plus mystérieux, le plus troublant. Ce que certains considèrent comme un anachronisme… Ainsi que l’énigme des petites et des grandes lettres. »
    Nous y voilà ! J’allais enfin savoir ce que Yohan refusait de me dire depuis le début, préférant que mon apprentissage se fasse par paliers, sans brûler les étapes. Mais auparavant, un mot m’avait fait sursauter… « Anachronisme » ? Quel anachronisme ?
    À travers ses explications, je comprends qu’il s’agit d’un passage du Livre d’Esther qui m’avait surpris sans que j’y accorde beaucoup d’importance. Alors qu’Aman et ses enfants ont déjà été pendus, Esther rencontre le roi pour la troisième fois. Dès qu’il aperçoit sa bien-aimée, Assuérus lui demande, comme il l’avait fait lors de leur précédente entrevue, d’émettre à nouveau un souhait qu’il exaucera sur-le-champ.
    « Ô roi, dit-elle, que l’on pende les dix enfants d’Aman ! »
    Or, ceux-ci ont été pendus la veille ! Pourquoi émettre un vœu déjà exaucé ? Sur le moment, et sans chercher d’autre explication, j’avais mis cette répétition anachronique, comme l’avait sans doute fait ma mère, sur le compte d’une erreur d’impression : mon exemplaire de la Meguila d’Esther est un opuscule bon marché, pollué de multiples publicités vantant les mérites des différents sponsors ayant participé à sa fabrication. Et voilà que le Rav Bloch m’explique que cette erreur n’en est pas une, que nous sommes, au contraire, en présence d’un passage clé du livre.
    « Vous voulez dire qu’il ne s’agit pas d’une répétition… ou d’une erreur d’impression ?
    — En aucun cas ! On vous a expliqué que, à côté de la Meguila , il existait un traité de la Meguila qui codifie le texte et interdit toute erreur dans sa retranscription… Non, personne ne s’est trompé ! En revanche, j’attire votre attention sur le fait que, à ce moment-là de l’entrevue, Esther s’adresse à Assuérus en utilisant la formule : “Ô roi”… Cela veut dire…
    — … qu’elle s’adresse à Dieu !
    — Tout juste ! Alors, réfléchissez deux minutes… Voilà une femme courageuse qui est devant Dieu et qui peut Lui demander ce qu’elle veut – “Fais un vœu et je l’exaucerai”. Elle pourrait Lui demander des montagnes de bijoux, de bracelets d’or et de diamants… En tant que Juive, elle pourrait Lui demander la reconstruction du Temple de Jérusalem, c’est-à-dire la fin de l’exil du peuple juif… Elle pourrait même Lui demander, vœu suprême, la venue du Messie sur la Terre… Mais non ! Elle Lui demande que l’on pende les enfants d’Aman !
    — Mais ils sont morts !
    — Exact ! Il faut donc prendre ce qu’elle dit au premier degré : elle demande à Dieu de pendre les cadavres des enfants d’Aman ! Les cadavres ! C’est tout simplement inimaginable ! On nage dans la morbidité la plus absolue ! Quoi ? Esther serait une Catherine de Médicis avant l’heure ? Non… Ce n’est pas du tout dans la tradition du judaïsme, c’est même à son opposé ! Tout au long de la Torah, vous allez trouver des citations contraires à la demande d’Esther. Par exemple, attendez… Je vais trouver la référence sur mon iPad… »
    Et je vois le Rav Bloch se saisir de sa tablette numérique, taper quelques mots, et la brandir en signe de succès.
    « Voilà… “Quand tes ennemis tomberont, ne te réjouis pas de leur défaite ou de leur mort !” Mishné Torah chapitre 24, verset 17. Et il y en a des centaines comme cela !
    » Comprenez-moi bien : ce que je vous dis n’est pas nouveau. Cette question agite tous nos érudits depuis deux mille ans ! Et le seul point sur lequel tout le monde se retrouve est le suivant : cette demande d’Esther est capitale, fondamentale. Elle a autant de valeur que la reconstruction du Temple ou la venue du Messie ! Alors, pourquoi ? Que veut-elle nous dire ?… C’est un véritable séisme qui secoue depuis des siècles l’esprit de nos sages : Esther se trouve face à Dieu et Lui demande de pendre les cadavres des enfants