Le Code d'Esther
je tâche de remédier à mon inculture biblique à l’aide de manuels pour Juifs un peu mécréants… Pour le moment, en tout cas, ça marche : d’un battement de cils, je fais signe au Rav qu’il peut continuer sa démonstration.
« Or, à la fin des temps, reprend-il, les miracles seront tels que la fonction pédagogique de ces trois fêtes-là n’aura plus raison d’être. Pourquoi prouver l’existence ou la toute-puissance de Dieu puisqu’Il se manifestera au quotidien ?
» C’est déjà le cas à Pourim. Dieu n’apparaît pas. Il n’y a pas une seule référence à Son existence. Or, on sait qu’Il est là, que Sa présence est palpable mais qu’Il n’a pas besoin de se manifester pour affirmer sa puissance.
» Eh bien, Maïmonide soutient que c’est ce Dieu-là dont nous aurons besoin à la fin des temps. Un Dieu au quotidien, loin des démonstrations surnaturelles. Un Dieu proche de l’homme. »
Une pause, et un léger sourire se forme déjà sur ses lèvres : il sait d’avance qu’il va nous prendre à contre-pied.
« Il y a autre chose qui risque de vous surprendre… À Pourim, il est recommandé de boire. Parce que la fête correspond à l’acceptation des lois divines dans la joie. Et parce que l’ivresse révèle la vraie nature de l’homme. Celui-ci n’est jamais autant lui-même qu’à Pourim. Voilà ce qui fait la spécificité de cette fête. Je crois bien que le judaïsme est la seule religion qui recommande l’ivresse à ses fidèles ! »
Et voilà que, tout à coup, Ariel Gay éclate de rire, le corps secoué de spasmes, pas mécontent de sa trouvaille et de la perplexité qu’elle déclenche chez ses interlocuteurs, à mi-chemin entre la vérité biblique et la provocation.
Je risque quand même une ultime question, encouragé par les dernières réflexions de mon as de cœur, Avraham Malthète…
« Et les petites et les grandes lettres ?
— Ah, je vois que vous êtes au courant… Mais je ne suis pas le meilleur dans ce domaine. Vous avez prévu de rencontrer le Rav Bloch ? »
La question s’adresse à Yohan plus qu’à moi. Nos regards se tournent vers mon ami. Nullement gêné, celui-ci répond que oui, nous allons le voir d’ici à une semaine, lors du prochain voyage à Paris du Rav, et que cette question sera au cœur de l’entretien que nous aurons avec lui.
« Alors, je crois que vous n’avez plus besoin de moi, dit Ariel en se levant. Je vous souhaite bonne chance dans votre enquête ! »
Le visage fermé, je prends congé du Rav et j’attends d’être sur le trottoir pour laisser éclater ma colère. Qu’est-ce que c’est que ces sous-entendus ? Tout le monde semble être au courant de quelque chose dont moi je ne sais strictement rien ! J’en ai assez de ces petites lettres et grandes lettres que l’on évoque avec des airs de conspirateurs ! J’ai le sentiment extrêmement désagréable d’être manipulé…
« Je comprends ta colère, commence calmement Yohan. J’aurais dû te prévenir, mais je voulais que tu termines ton parcours… d’initiation, sans intervention de ma part. Fais-moi confiance encore quelques jours. Et lorsque tu auras vu le Rav Bloch, tu en sauras davantage. À ce moment-là nous ne serons pas trop de deux pour mener à bien l’enquête ! »
Au cours d’une enquête, il y a toujours des instants de découragement, d’interrogations et de doutes. Le travail de recherche fait en amont se heurte ainsi à la réalité du terrain, créant des situations que l’on n’avait pas prévues. Tous les enquêteurs, les journalistes et d’une manière générale tous les chercheurs connaissent ce sentiment lorsque rien ne va plus et qu’un élément bloque obstinément tout espoir d’avancée. Yohan m’avait longuement parlé de ses difficultés, de ses attentes déçues, de ses théories qui s’effondraient comme un château de cartes au souffle d’un vent venu d’on ne savait où.
Or, depuis que je m’étais lancé dans cette aventure, je n’avais rien connu de semblable. Tout s’était enchaîné comme je l’avais prévu, sans heurt ni surprise, sans élément de dernière minute venant remettre en cause des journées de travail. J’étais comme porté par une vague douce et lisse qui, pour le moment, promettait de me mener à bon port. En tout cas, j’étais loin de cette excitation qui animait mon ami lorsque je l’avais rencontré. Mais, et là aussi c’est
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