Le Code d'Esther
voulez-vous parler ? lui dis-je en écarquillant les yeux.
— Au vu de votre étonnement, c’est un sujet que vous n’avez pas encore abordé. Je laisse à d’autres, beaucoup plus compétents que moi dans ce domaine, le soin de vous l’exposer. Cela devrait donner du piquant à votre enquête ! » conclut-il dans un grand éclat de rire, nous laissant littéralement étourdis dans la rue où la nuit est déjà tombée.
Le Rav Ariel Gay ressemble à tous les rabbins : costume sombre, chemise blanche, barbe noire fournie et chapeau sur la tête, il doit avoir dans les 35 ans, mais il en aurait 50 que ça ne changerait rien. Seuls les yeux émergent de cette panoplie anonyme : grands, vifs, scrutant l’interlocuteur dans ses moindres détails. Il dirige une école religieuse à Neuilly, réglant les problèmes d’intendance au rythme des prières quotidiennes célébrées dans la synagogue attenante aux salles de classe. Il nous reçoit dans un bureau minuscule, qu’il partage avec sa secrétaire. Le décor est spartiate, sans doute à l’image de l’homme et de sa fonction. Je tiens mon as de pique !
« Pourquoi cet intérêt pour le Livre d’Esther ? »
D’emblée, il pose le cadre de l’entretien qu’il a consenti à nous accorder. Ainsi que je pourrai le vérifier tout au long de cette enquête, ce sont les rabbins qui posent d’abord les questions. Ils veulent savoir qui vous êtes, quelles sont vos intentions, où en sont vos connaissances de l’objet traité, avant de s’engager. C’est seulement après ce rituel qu’ils se livreront… ou pas ! Pour l’heure, nos réponses semblent l’avoir rassuré, et son sourire parvient à se frayer un chemin dans l’épaisseur de la barbe.
« Je ne vais pas vous faire perdre votre temps. Il y a des gens beaucoup plus savants que moi pour vous dater le Livre d’Esther, vous parler de sa typographie particulière, de la notion de “Dieu caché” que l’on trouve dans ce texte. Vous les trouverez, j’en suis sûr. En revanche, je veux bien vous faire partager les études que je mène depuis des années sur un point précis… »
Ariel Gay s’arrête un court instant, en homme qui sait ménager son auditoire. Il a de toute évidence un côté pédagogue qui doit venir de son contact avec les enfants.
« Il est dit, dans les livres de nos sages, que, lorsque arrivera la fin des temps, tous les livres, toutes les fêtes disparaîtront. Toutes, sauf une : Pourim ! C’est la seule qui subsistera.
— Qui l’affirme ? Dans quel texte ? De quelle façon ? »
Mon naturel de journaliste refait surface : je veux des sources, pas d’histoires rapportées de rabbin en rabbin. La réponse ne tarde pas, façon uppercut. Je crois que mon intervention a agacé le rabbin.
« C’est Maïmonide, l’une des plus grandes figures du judaïsme, au point qu’on l’a souvent comparé à Moïse. Dans le Talmud Yerushalmi , il est dit que la fête de Pourim restera alors que toutes les autres auront disparu. Un peu plus tard, dans son Mishné Torah , Maïmonide affirme que tous les livres tomberont en poussière, excepté le Livre d’Esther.
— Et comment justifie-t-il cette affirmation ?
— Il soutient que Pourim est une expérience humaine qui dépasse toutes les autres. Je vais essayer de vous faire comprendre… Dans la religion, nous avons trois fêtes importantes qui regorgent toutes de miracles : il y a d’abord Pessa’h, le récit de la sortie d’Égypte, avec en particulier la séparation des flots de la mer Rouge… Il y a Chavouot, qui commémore le don de la Torah sur le mont Sinaï… Et puis Souccot, la fête des Cabanes, qui vise à rappeler l’errance des enfants d’Israël sous des tentes, dans le désert, épisode au cours duquel Dieu a fait descendre la manne du ciel pour nourrir Son peuple.
» Ce sont les trois piliers sur lesquels repose le judaïsme. Dieu multiplie les interventions surnaturelles pour sauver Son peuple ou lui rappeler les prescriptions à suivre. Il impose ainsi Sa présence et Sa toute-puissance aux enfants d’Israël. »
Il s’arrête un instant, essayant de capter dans nos yeux l’écho de ses paroles. Du côté de Yohan, pas de problème : ils se connaissent, et il sait que mon ami est pratiquant, que ces notions de base lui sont familières. Pour ma part, cela fait des semaines, depuis la rencontre singulière de Yohan à la synagogue, que
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