Le Coeur de la Croix
Morgennes était
d’humeur sombre. À vrai dire, sa conversion à la foi mahométane, quoique
sincère – ou plutôt, « assumée », « consentie » –
sur le moment, avait quelque chose d’artificiel. Morgennes le sentait bien.
Mais comment faire autrement, s’il voulait servir Dieu et accomplir sa mission
jusqu’au bout, quitte à se renier lui-même ? Il avait trahi, oui, il
s’était damné, certes, mais c’était pour Dieu, pour Dieu uniquement. Dût-il en
payer le prix.
Morgennes se sentait quelque peu perdu, et son trouble ne
laissait pas Simon indifférent – pour lui, les hommes se partageaient en
courageux ou en veules, mais Morgennes ne semblait appartenir à aucune de ces
deux catégories.
Taqi, par ses paroles, avait remis Morgennes sur sa route.
Fini les illusions, l’idée que tout pourrait être préservé, et son innocence,
et sa mission, sa foi en Dieu, sa place au paradis. Oh, sa place au paradis. Il
l’aurait échangée sur-le-champ contre la Vraie Croix s’il avait pu !
N’était-ce pas ce qu’il avait fait ? Alors, tant pis s’il agissait,
raisonnait par orgueil, tant pis… pourvu qu’il retrouvât la Vraie Croix.
Il resterait mahométan aussi longtemps que Saladin ne
l’aurait pas délié de son serment. Il continuerait à chercher la Vraie Croix,
ainsi qu’il l’avait promis à Alexis de Beaujeu, ainsi, surtout, qu’il se
l’était promis à lui-même, quand il avait vu passer la monture de Rufinus, sur
le champ de bataille, à Hattin.
Décidément, il revenait toujours à ce funeste combat, où la
mort l’avait fui à plusieurs reprises, où il avait été – à sa très grande
honte – le dernier des soldats à se rendre, et où il avait renié sa foi.
Que d’épreuves traversées depuis, que de chemin parcouru ! Morgennes avait
l’impression de vivre un cauchemar.
— Que faisons-nous maintenant ? demanda Simon, qui
s’impatientait déjà.
— Que veux-tu faire ? dit Morgennes.
Simon esquissa un geste en direction des deux silhouettes
qui chevauchaient au loin. Certes, l’une était Cassiopée – mais depuis
qu’ils avaient quitté La Fève, elle n’avait pas eu un mot pour lui, pas un
regard, et paraissait uniquement préoccupée de son faucon :
— Ils sont loin, on peut partir, lâcha-t-il la mort
dans l’âme en sachant que cela voulait dire abandonner Cassiopée.
— Et laisser la Vraie Croix ! s’indigna Morgennes.
— La Vraie Croix ! Je suis le premier à vouloir la
retrouver, mais nous reviendrons plus tard, avec une armée.
— Laquelle ? Celle de Conrad de Montferrat, qui ne
veut pas bouger de Tyr ? Celle des Hospitaliers, en pleine
recomposition ? Ou celle du Temple, décimée… Je te rappelle qu’à Hattin ce
sont le ban et l’arrière-ban des forces du royaume qui ont été massacrés.
— Il reste les Templiers blancs ! s’exclama Simon.
— Les Templiers blancs…, soupira Morgennes. Peux-tu me
dire ce que tu espérais trouver chez eux ? Être un blanc-manteau ne te
suffisait pas ? Il te fallait plus ? Et si l’on t’avait dit que les
Templiers blancs étaient une société secrète bâtie sur le modèle de celle des
Batinis ?
— Qu’en savez-vous ? lança Simon. Même moi je n’en
sais rien !
— Ah non ? Et cet homme, avec son arbalète…
— L’envoyé du Très Saint Père ! s’emporta Simon.
Comment osez-vous…
— Comment j’ose ? Tout simplement, en posant des
questions, en me montrant curieux. Et ne crois pas que ce soit un péché. Ce
n’en est un que pour ceux que ces questions dérangent. Au fond, je suppose que
tu ne sais pas grand-chose des Templiers blancs. Du reste, tu ne dois pas en
savoir très long sur le Temple non plus.
— J’en connais la règle !
— Bien sûr. Je suis certain que tu la sais par cœur.
Mais connais-tu son histoire ? Ses principes, ses mœurs, ses torts, ses
travers, ses zones d’ombre et de lumière ? Sais-tu ce que sont un
Templier, un Hospitalier, ou même un Batini ?
— Les deux premiers sont des soldats du Christ. L’autre
est un ismaïlien, c’est-à-dire un Mahométan qui ne se reconnaît pas dans le
pouvoir en place à Bagdad.
— Et alors ? Des mots ! Des mots tout
ça ! Des mots, toujours des mots, des mots, des mots et des prières, des
mots, des chants, des répons, des oraisons, des que saisie encore ! Des
paroles et du vent ! Ce n’est pas difficile de parler. En ce qui me
concerne, être un
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