Le Coeur de la Croix
cela
représente. On ne peut plus se séparer. Étrangement, alors que nous ne nous
connaissons que depuis quelques mois, c’est comme si nous avions passé toute
notre vie ensemble. Certaines femmes peuvent modifier votre avenir. Celle-ci a
changé mon passé. Elle m’a ouvert à moi-même.
Morgennes et Alexis sourirent, touchés par la naïveté et la
beauté de ces paroles, surpris de les entendre dans la bouche d’un tel
personnage.
— Qu’êtes-vous venu faire ici ? demanda Morgennes.
Tommaso regarda Alexis de Beaujeu, qui le rassura :
— Parlez sans crainte, nous n’avons rien à cacher à
Morgennes. C’est à lui que nous devons la joie et l’honneur d’avoir retrouvé la
Vraie Croix.
Chefalitione s’empara alors de la main de Morgennes,
l’embrassa et la pressa sur son cœur.
— Santa Madonna ! s’écria-t-il. C’est à
vous que nous devons d’avoir retrouvé Dieu ? Comment vous remercier ?
Tout l’or du monde n’y suffirait pas !
— Demandez-vous plutôt si je ne nous ai pas
éternellement privés de Dieu, soupira Morgennes. En vérité, en vérité… Je ne
sais trop si ce que j’ai fait est un bien ou un mal. Enfin, la véritable Vraie
Croix – que nul ne savait perdue – a été retrouvée, et la croix de
Hattin également. On pourrait croire que tout est pour le mieux, non ?
Tommaso ne le quittait pas des yeux. Pour le Vénitien,
converti à l’amour en même temps qu’à la religion, Morgennes était une vivante
icône. Un objet d’adoration.
— Il faudrait écrire votre histoire, dit-il.
— Un de mes amis s’en occupe, dit Morgennes. Enfin, je
crois…
— Bravo ! Je lirai son livre avec intérêt. J’en
commanderai des copies.
Beaujeu interrompit leur échange :
— Nul à part nous ne doit savoir que la Vraie Croix,
l’authentique, doit partir pour Rome dans les cales de La Stella di Dio. Je
vous invite à réfléchir à un moyen de la faire parvenir à son bord. Un moyen
discret. Nous avons jusqu’à ce soir. Je n’ai pas envie de garder trop longtemps
cette croix ici : je n’aime pas la savoir dans une place forte
militaire ; et puis, je n’aimerais pas être celui à qui elle serait volée,
si vol il devait y avoir…
Morgennes et Tommaso opinèrent du chef. Ils comprenaient
parfaitement ce que Beaujeu voulait dire. Si l’honneur était grand de la
retrouver, le déshonneur de la perdre à nouveau serait infini.
Les trois hommes descendaient les marches menant vers la cour
de la chapelle, quand soudain les cloches se mirent à sonner l’alerte.
Morgennes et Beaujeu partirent aux nouvelles au pas de course.
*
— Ce qui commence à Jérusalem finit à Jérusalem,
répondit Saladin au plus jeune de ses fils, al-Afdal, qui lui demandait quand
sa guerre de reconquête cesserait.
— Alors, demanda al-Afdal, c’est pour bientôt ?
Saladin posa la main sur la tête de son fils et lui caressa
les cheveux. Ils avaient la douceur de la soie, et rappelaient au sultan le
poil de ses panthères, sagement couchées dans un coin de la tente, la tête
posée sur les pattes de devant.
— Bientôt, oui. Si Dieu le veut ! ajouta Saladin.
— Mais alors, père, pourquoi ne partent-ils pas ?
Préfèrent-ils mourir ? Sont-ils comme ces chevaliers impies, que nous avons
capturés à Hattin, et qui ont préféré périr plutôt que d’embrasser la
Loi ?
— Qui sait ? Peut-être préféreront-ils se rendre.
En tout cas, on peut toujours les y inciter. Ce n’est qu’une question de temps…
En vérité, il bouillonnait d’impatience et aurait donné sa
vie, et celle de ses quatre fils, pour reprendre la ville le soir même. Mais il
s’efforçait de réfréner ses sentiments, tenant au loin les voix qui le
pressaient d’agir. La guerre était pour lui un long travail de patience. Tout
comme dans le feu de l’action il agissait sans prendre le temps de réfléchir,
il ne voulait pas faire l’économie d’une minute de précieuse réflexion avant de
donner l’ordre d’attaquer. Pourtant, il avait hâte d’en finir. Comme le disait
le Prophète : « La temporisation est excellente, sauf quand
l’occasion se présente. »
Mais où porter le premier assaut ? À quel moment ?
Avec quelles troupes ? Quels préparatifs ? Quels objectifs ?
Pendant combien de temps ?
Autant de questions auxquelles le sultan devait trouver une
réponse, en compagnie de son état-major, de son aide de camp, Ibn Wâsil, et
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