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Le Coeur de la Croix

Le Coeur de la Croix

Titel: Le Coeur de la Croix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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Ernoul : il avait sous les yeux de profonds
cernes noirs, qui donnaient du poids à son regard et à ses paroles ; ses
cheveux se rehaussaient d’épis – qui ne voulaient pas se coucher et
signalaient un caractère anxieux, pressé d’atteindre son but. C’est qu’Ernoul
n’avait cessé, depuis le début du mois de septembre, de courir la Terre sainte,
cherchant désespérément de l’aide. Mais les Templiers n’étaient pas prêts, et
les Hospitaliers se regroupaient, se préparant à partir pour Tyr. Où le marquis
de Montferrat tenait vaillamment tête à Saladin – en attendant
d’improbables secours.
    — En arrivant à Jérusalem, reprit Ernoul, le comte et
moi-même fûmes grandement surpris par le désordre qui régnait dans la ville.
Celle-ci était sens dessus dessous, les gens se pressant autant pour s’y
réfugier que pour la quitter. Privée de son roi, dépossédée de sa principale
relique, Jérusalem était, comme tant de fois dans l’Histoire, à l’agonie. Les
Hiérosolymitains virent en Balian le miracle que tous attendaient : un
chef envoyé par Dieu, et qui allait les sauver.
    Mais Balian était tenu par la promesse qu’il avait faite à
Saladin de ne rester qu’une seule nuit dans la ville. Il devait quitter
Jérusalem le lendemain de son arrivée, avec sa femme et ses enfants –
qu’Héraclius avait cachés dans les souterrains de la tour de David, en
ordonnant aux Templiers blancs d’en interdire l’accès à Balian.
    « Je te délie de ton serment, avait dit Héraclius.
    — J’ai promis », avait répondu Balian.
    Apparemment, les deux hommes n’étaient pas faits pour
s’entendre. Héraclius faisait fi de la parole donnée ; Balian restait
fidèle à ses engagements. Déjà, des rumeurs circulaient : on le traitait
de lâche. On disait de lui : « Il est vendu aux infidèles. »
    Ces ragots firent si bien que Balian envoya Ernoul expliquer
la situation à Saladin et le supplier de bien vouloir lui permettre de rester
dans la ville, pour la défendre. Ému par les mots qu’Ernoul avait su trouver,
Saladin écrivit à Balian : « Restez tant que vous pourrez si tel est
votre souhait. » Il donna même à Ernoul une escorte de mamelouks, pour
qu’ils accompagnent ensuite la femme de Balian, ses filles et son neveu, à Tyr.
Où ils seraient en sécurité.
    — Je reconnais bien là le sens de l’honneur de Saladin,
commenta Morgennes.
    — Vous le connaissez donc ? s’enquit Ernoul.
    — Je connais sa clémence.
    — Et sa cruauté, ajouta Beaujeu.
    Les quatre hommes se laissaient bercer par le vent sur les
hauts remparts du krak. L’air était chargé de bruits divers, cris et
claquements d’armes des soldats à l’exercice, brouhaha des maçons en train de
renforcer les fortifications ou des charpentiers assemblant des engins de
guerre.
    — Nous allons former trois groupes, dit Beaujeu. Afin
de libérer Morgennes de ses obligations vis-à-vis des Moniales, une patrouille
d’Hospitaliers escortera Yemba jusqu’aux rives de la mer Morte, où il pourra
mettre à l’abri ses précieuses jarres. Le capitaine Chefalitione rejoindra La Stella di Dio à Tortose ; quant à toi, Morgennes, tu accompagneras
Ernoul jusqu’à Jérusalem, avec tes compagnons. Ta mission se terminera juste
après. Jérusalem sauvée, vous reviendrez ici avec la Vraie Croix.
    Peu après, Ernoul les quittait pour aller présenter ses
hommages à Raymond de Tripoli, dont l’état ne cessait de s’aggraver.
    Morgennes et Beaujeu restèrent seuls avec Chefalitione, qui
leur rapporta ce qu’il avait vu en Europe, où la noblesse s’était empressée
d’oublier le sort de ses cousins établis en Terre sainte. Comme si reprendre le
Saint-Sépulcre était plus important que le garder ; l’exploit, plus
important que la durée.
    Mais Tommaso disait cela sans animosité. Avec une pointe de
tristesse, et sans jamais cesser de sourire. En fait, les mœurs de ses
contemporains l’amusaient autant qu’elles l’agaçaient.
    Depuis son voyage en Occident, le capitaine vénitien avait
l’air heureux des gens que la vie a comblés. Ses traits avaient gagné en
douceur, comme polis par la main d’un ange – ce qui était le cas puisque,
depuis qu’ils s’étaient rencontrés, en juillet, Fenicia et lui ne se quittaient
plus.
    — Partie pour la Provence alors que j’étais pour elle
un étranger, elle est revenue ici avec moi – malgré les risques que

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