Le Coeur de la Croix
Templiers blancs, qu’Héraclius et Balian
avaient chargés d’encadrer les troupes. Faute de soldats en nombre suffisant,
il avait fallu recruter parmi les civils, mobiliser les bourgeois, adouber les
jeunes nobles, donner à des écuyers le commandement de pelotons, former au
maniement des armes ceux dont le bras était assez vigoureux. Quand les armes
manquaient, on donnait aux hommes des fourches, des pelles, des pioches ou des
marteaux et, aux femmes, des balais, des ciseaux, de longues épingles ou des
poêles à frire. On faisait rougir des tisons dans des braseros placés aux coins
des rues. Algabaler et Daltelar, les deux derniers chevaliers de Jérusalem,
vieillards dont l’aigreur et la fainéantise le disputaient au vice et à la
peur, s’enfermèrent chez eux. On dut, pour les déloger, menacer de raser leur
logis et de les pendre aux créneaux afin de montrer aux Sarrasins le sort qui
attendait les paresseux. Les deux chevaliers furent chargés des travaux de
défense. On pensa, avec justesse, que personne mieux qu’eux ne prendrait les
précautions qui s’imposaient pour empêcher les Sarrasins d’entrer. Ils firent
monter devant les portes de Jérusalem d’épais murs de briques, dont ils
trouvèrent les matériaux en abattant les maisons mitoyennes. À ceux qui
protestèrent parce qu’on détruisait leur logis, on proposa de rester pour
servir de mortier.
Des fouets claquaient sur les têtes de la foule pour la
rappeler à l’ordre et la motiver. Les hommes transportaient des pierres, les
femmes des seaux pleins d’eau ou de sable, les enfants les rations qui nourrissaient
ces nouveaux maçons, et les vieillards donnaient des conseils, qui exaspéraient
tout le monde. Ils ne cessaient de répéter : « On vous l’avait bien
dit… »
Ce n’était plus des murs, c’était des amoncellements ;
et tous d’imaginer ce qu’on pouvait y ajouter. Charrettes aux roues cassées,
vieux lits, buffets, vêtements usés, carcasses d’animaux, ordures ménagères,
parois d’un tombeau… tout ce qui pouvait peser et obstruer. Les remparts de
Jérusalem étaient comme un manteau doublé en prévision de l’hiver. Certains y
cachèrent des animaux domestiques, prétextant que la famine et le noir les
rendraient fous, et qu’ainsi ils se jetteraient à la figure des assaillants si
ceux-ci parvenaient à entrer.
— Et si le siège se prolonge et que la famine arrive,
que mangera-t-on ? protestèrent quelques âmes sensibles en allant
récupérer – quand c’était encore possible – qui son chat, qui son
chien.
Héraclius et Balian s’étaient réparti les tâches de façon à
se fréquenter le moins possible. À Héraclius, le sud de la ville, avec ses
quartiers arménien et germanique, à Balian, le nord, avec ses quartiers
français, hospitalier et autrefois juif. L’un et l’autre se réjouissaient de ce
choix, qui plaçait le patriarche à l’abri, et Balian au combat. Car, depuis que
la ville existait, on ne connaissait pas d’exemple d’assaut venu du midi –
où se trouvaient encore les vestiges de l’ancienne enceinte romaine.
L’esplanade du Temple, elle, était défendue par les Templiers blancs et
quelques braves munis de faux.
Héraclius et Balian s’étaient également partagé les
puissantes armes de siège ; Balian, faisant valoir l’extrême vulnérabilité
de ses positions, avait gardé pour lui les deux catapultes possédées par la
ville – les deux onagres et les quatre scorpions ayant été équitablement
répartis. Alors qu’Héraclius avait groupé l’ensemble de ses défenses au sommet
de la tour de David afin de protéger la citadelle et le palais du roi de
Jérusalem, Balian avait disséminé les siennes le long de ses positions, plaçant
ici une catapulte, là un onagre – s’efforçant chaque fois que c’était
possible d’en faire se croiser les tirs. De même, alors qu’Héraclius avait
rassemblé les vivres dans les caves de son palais, Balian avait créé des
dispensaires, où était entreposé de quoi nourrir tout un quartier pendant deux
ou trois mois – durée estimée du siège, avant l’arrivée des secours
espérés.
À la Saint-Eustache, Saladin lança un premier assaut contre
la porte de Damas.
— Quel dommage, fit un bourgeois placé non loin de
Balian sur les créneaux. Je commençais à m’habituer au siège…
*
Au krak des Chevaliers, où les cloches sonnaient à toute
volée, des cris fusaient
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