Le Coeur de la Croix
avait un avantage : il s’attaquait également
aux aspics, qui mouraient rapidement. Cependant, la chaleur devenait
suffocante, et des nuages de fumée âcre envahissaient la caverne.
— Crucifère ! hurla Morgennes, le visage en feu.
C’était fini. Ils ne le sauveraient pas. Alors, après un
dernier regard, ils reculèrent, abandonnant celui qu’ils avaient appris à
connaître et à aimer au cours de ces derniers jours, et coururent vers
Crucifère, que Wash el-Rafid avait lâchée quand Châtillon s’était saisi de lui.
À peine Cassiopée eut-elle récupéré l’épée sainte, que le
Perse disparaissait en enfer, les yeux écarquillés de terreur.
— Je l’ai ! s’exclama Cassiopée en brandissant
Crucifère.
— Amen ! dit Morgennes d’une voix méconnaissable.
Et il ferma l’œil.
Les deux mains de Châtillon s’étant refermées sur ses
chevilles, Morgennes avait à moitié disparu dans le puits des Âmes. À son
contact, la croix embrasa la surface, qui brûla d’un feu étrange. Une fumée
acide, noire, épaisse, sourdit de ce soleil noir, à l’intérieur duquel
Morgennes se débattait en vain.
— Tiens bon, dhimmi ! hurla Taqi.
Passant devant Simon et Cassiopée, auxquels il lança un
violent « Déguerpissez ! », il se précipita vers Morgennes, et
disparut dans la fumée.
Cassiopée toussa, hésita, lorsque Simon la prit par le bras,
l’obligeant à reculer.
— Viens, dit-il. Il n’y a plus rien à faire…
Les colonnes cédèrent. Dans un craquement formidable, elles
se brisèrent, entraînant dans leur chute le rocher d’Abraham, qui obstrua le
puits des Âmes ; mais des milliers de petites étincelles en avaient
profité pour s’envoler dans la nuit.
Des âmes avaient-elles été sauvées ?
« Peu importe », pensa Simon.
Il regarda autour de lui. Tout lui paraissait vide. Les
hommes de Taqi ne bougeaient plus, Kunar Sell avait laissé tomber sa hache, il
y avait beaucoup de prisonniers et encore plus de morts. Quant à Cassiopée, il
était difficile d’être plus pâle. Elle avait lâché Crucifère et s’était tournée
vers la caverne, quelque chose de Morgennes dans les yeux.
Épilogue
« Ne dites pas de ceux qui
sont tués dans le chemin de Dieu : ils sont morts. Non ! Ils sont
toujours vivants, mais nous n’en avons pas conscience. »
(Le Coran, II, 154.)
À bout de forces, Cassiopée et Simon ramenèrent al-Afdal au
camp de Saladin, où les Sarrasins jetèrent Kunar Sell en prison et les fêtèrent
comme les véritables libérateurs de la ville – ce dont ils ne surent s’ils
devaient se réjouir ou pleurer. Peu après, les habitants de Jérusalem
commencèrent à se rendre. Saladin les épargna, ainsi qu’il l’avait promis. Sous
une pluie diluvienne, d’interminables colonnes de gens sortirent par la porte
de David, s’en allant vers le couchant dans l’espoir d’y prendre un bateau, qui
les emmènerait en Provence ou en Italie – enfin, dans un de ces pays dont
la plupart étaient originaires, mais qu’ils n’avaient bien souvent jamais vu.
Beaucoup de ces malheureux n’avaient pas de quoi payer leur rançon, aussi
Balian donna-t-il tout ce qu’il possédait pour en racheter le plus grand nombre
possible. Quant à Héraclius, il partit avec les trésors du Saint-Sépulcre,
refusant de les dilapider pour libérer des indigents – qui, de toute
façon, disait-il, « ne méritent pas, que dis-je ! ne souhaitent
pas qu’on donne aux Mahométans ces précieux trésors qui font notre
gloire ! ».
— Par ce sacrifice, expliquait-il, ils prouvent qu’ils
sont dignes d’entrer au paradis. Puissent les Mahométans se montrer cléments
envers eux…
Sa charrette fut couverte d’immondices, de boue et de
crachats, par l’armée du sultan comme par les Hiérosolymitains. Les insultes,
les cris de rage et de colère pleuvaient. Saladin dut intervenir en personne
pour qu’on n’étripe pas le patriarche sénile, qui, tout à ses préoccupations,
ne voyait ni n’entendait rien. Il pressait sur son cœur un encensoir en or,
qu’il caressait en marmonnant, l’appelant « mon petit », « mon
chéri ». Pâques de Rivari, sa compagne, conduisait l’attelage, qui n’était
pas bâché. Trempée jusqu’aux os, elle fixait la route d’un œil éteint, n’osant
détourner le regard, ne bougeant pas un cil, sous les pierres et les quolibets.
Ce jour-là, Saladin pleura beaucoup, de tristesse et
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