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Le Coeur de la Croix

Le Coeur de la Croix

Titel: Le Coeur de la Croix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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adorons, c’est Toi dont nous implorons le secours. Guide-nous sur
la voie de la rectitude, la voie de ceux que Tu as comblés de Tes bienfaits,
non pas celle de ceux qui osent Te défier, ni celle de ceux qui se sont
égarés. »
    La prière finie, hommes et femmes se tournèrent vers
Saladin. Malgré ses habits noirs, il était plus lumineux que la Kaaba au centre
de la foule des fidèles.
    Il était le Prince des Croyants ; la Couronne des
Émirs ; Le Victorieux ; l’Honneur de l’Empire ; le Glorificateur
de la Dynastie, son Bon Augure et son Appui ; Celui qui Possède les
Prééminences ; etc. Les mots étaient trop petits pour lui ; pourtant,
aucune gorge n’était suffisamment profonde pour les prononcer. On s’épuisait à
chercher une phrase qui le ceigne ; mais aucun homme ne possédait ce qu’il
fallait de souffle pour la dire. Il n’existait pas assez de termes pour
l’honorer.
    Alors on alignait les comparatifs les plus éculés afin d’en
faire un mythe, un géant, capable de rivaliser avec les héros de l’Inde, de la
Perse ou de la Grèce antique : ses yeux étaient des pierres précieuses et
ses dents des perles ; ses gencives et l’intérieur de sa bouche étaient de
nacre et ses bras d’airain ; ses mains étaient d’or ; et ses
doigts – ah, ses doigts ! –, on n’osait les comparer à
rien ; ses jambes étaient deux petits cèdres ; ses pieds un socle de
marbre ; sa colère enfin, sa force, étaient si terribles qu’à côté d’elles
le khamsin paraissait caprice de fillette, une facétie. Son intelligence, sa
ruse, feraient triompher Justice et Vérité. Une parole de lui, et les méchants
trépassaient.
    Les Syriens, les Égyptiens, les Yéménites servaient le plus
grand des conquérants. Jérusalem, déjà, leur appartenait. Jérusalem !
Dieu, dans sa grande bonté, l’offrait à Saladin. Il ne s’agissait plus de la
prendre, mais de l’accepter. Saladin, par un excès d’humilité dont il était
coutumier, se demandait : « En sommes-nous dignes ? »
    Assurément.
    Il leva les bras. Les manches de son caftan s’ouvrirent
comme les ailes d’un oiseau. Le silence se fit, à peine troublé par une brise
légère et les crépitements des bûchers. Quelque part, des corbeaux croassèrent.
Ailleurs retentirent les ricanements d’une hyène. Qu’importe, les Sarrasins ne
les entendaient pas. Tous écoutaient Saladin, immobiles, encapuchonnés dans
leurs habits de laine, couleur de lune.
    Saladin ouvrit les mains, paumes tendues vers le ciel, et la
lumière des flambeaux qui brûlaient derrière lui fut partagée en flots carmin.
    — Accorde-nous la grâce, ô Seigneur, de chasser Tes
ennemis de Jérusalem ! Offre-nous cette joie ! Jérusalem, la trois
fois sainte, est entre les mains des infidèles depuis plus de quatre-vingt-dix
ans. Quatre-vingt-dix affreuses années durant lesquelles rien ne fut fait pour
Toi en ce lieu saint. Quatre-vingt-dix terribles années durant lesquelles les
infidèles se sont renforcés. Quatre-vingt-dix pénibles années durant lesquelles
nous qui Te sommes soumis n’avons rien accompli, sinon nous déchirer. Je sais
pourquoi. Oui, je sais pourquoi en quatre-vingt-dix ans aucun chef mahométan
n’a réussi à reprendre Jérusalem. Gabriel me l’a révélé…
    Un mouvement se fit derrière lui. Une théorie d’hommes bruns
au visage fermé approchait : des religieux, avec de petits chapeaux coniques
et de beaux manteaux blancs à manches courtes, sur lesquelles étaient inscrits
en lettres d’or des versets du Coran. Ils portaient une sorte de fardeau,
lourd, volumineux et d’aspect vaguement humain. On se demanda ce que c’était.
Un cadavre ? Un blessé ?
    Ils s’arrêtèrent près de Saladin et, d’un geste uniforme,
courbèrent le dos et levèrent les bras. Une croix se dressa au milieu d’eux. La
Vraie Croix. Malgré son habit d’or et de perles, elle avait perdu de sa lumière
et paraissait plus terne qu’entre les mains des Francs. Dans la foule, on
échangea des regards : « Que veut le sultan ? »
    Celui-ci s’approcha de la croix, et dit en la
caressant :
    — Cette croix n’est pas la moindre de nos
victoires !
    Puis il se tut, laissant aux siens le temps de se repaître
du spectacle de la Sainte Croix.
    — À en juger par la désolation des Franjis, c’est la
plus importante de nos victoires ! Plus importante que la capture du roi
de Jérusalem, des maîtres du Temple et de

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