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Le Coeur de la Croix

Le Coeur de la Croix

Titel: Le Coeur de la Croix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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point nous aimions
Guillaume. Mais, dans cette affaire, il a porté la Sainte Croix pour un roi, et
non pour Dieu. La croix n’a rien à faire sur un champ de bataille. Sa place est
dans une église. D’ailleurs, aucun roi ne devrait gouverner en Palestine. Comme
l’a si bien écrit notre vénéré prédécesseur Alexandre III dans une bulle
adressée en 1181 à toute la chrétienté à propos du petit roi lépreux :
« Il n’y a pas de roi qui puisse gouverner cette terre. Baudouin, par
exemple, qui tient les rênes du gouvernement, se trouve gravement flagellé par
le juste châtiment de Dieu, au point qu’il a peine à supporter les continuels
tourments de son propre corps. » Dieu lui-même n’a cessé de nous avertir.
La lèpre de Baudouin était un signe. La perte du comté d’Édesse en était un
premier. La prise de la Vraie Croix sera sans doute le dernier.
    Josias ne fit aucun commentaire, mais cessa de regarder
l’évêque de Préneste, auquel il ne supportait plus de s’adresser. La lèpre qui
avait affecté le petit roi Baudouin IV tout le long de son règne n’avait
jamais été comprise en Occident. Alors qu’en Orient c’était une simple maladie,
que Guillaume avait cherché à guérir, au Vatican elle avait été considérée
comme une manifestation de la volonté divine : la preuve que le règne de
Baudouin n’était pas apprécié de Dieu, la preuve qu’aucune autre juridiction
que celle de l’Église ne serait jamais approuvée par le Ciel à Jérusalem.
    Baudouin IV avait pourtant été le meilleur de tous les
rois de Jérusalem. Sa maladie ne l’avait pas empêché d’accomplir des miracles,
comme de remporter la bataille de Montgisard, que tous donnaient pour perdue
d’avance. Baudouin IV, dont le tempérament doux et sage était dû à
l’éducation inculquée par Guillaume de Tyr, était en quelque sorte le pendant
civil de Josias tant leurs caractères étaient proches. Josias réfléchit un
instant. Guillaume était mort en des circonstances étranges. D’aucuns disaient
qu’il avait été empoisonné par Héraclius, parce qu’il avait voulu aller à Rome
contester l’élection de ce dernier à la charge de patriarche de Jérusalem.
Josias croisa malencontreusement le regard du pape, qui, s’apercevant de son
trouble, l’invita à s’exprimer.
    — Guillaume a aimé Baudouin, c’est vrai, convint Josias
en s’adressant directement au pape. Mais à Hattin, nous avons vu le roi de
Jérusalem combattre Saladin, alors que son patriarche, Héraclius, lui, était
absent de la bataille. Il s’était fait remplacer par ses deux fils, dont l’un
est évêque de Lydda, et l’autre celui d’Acre. Ce sont eux qui portaient la
Vraie Croix. Vous constaterez que si l’Église est allée au front, ce n’est
jamais en y envoyant ses plus hauts représentants…
    Des filets de sueur coulaient sur le visage et dans le dos
de Josias. Il venait de critiquer de façon à peine déguisée le comportement des
papes depuis le concile de Clermont, où Urbain II avait prêché la
libération du tombeau du Christ. Des voix s’élevaient depuis, peu nombreuses et
fort timides il est vrai, pour reprocher aux papes d’avoir beaucoup incité les
autres à partir mais de n’avoir jamais conduit eux-mêmes les croisés à
Jérusalem.
    Tous regardaient Josias : Urbain III avec tristesse,
l’évêque de Préneste avec haine, et Di Morra avec attention.
    — Vous êtes jeune, poursuivit le pape. La France et
l’Angleterre vous feront le plus grand bien. Ne dit-on pas que les voyages
forment la jeunesse ? Vous qui quittez tout juste les jupes de votre mère
en avez grand besoin. Nous n’ignorons pas que certains représentants de
l’Église étaient présents sur les champs de bataille quand d’autres, parmi les
plus grands, ne s’y trouvaient pas. C’est qu’ils étaient appelés à d’autres
tâches, non moins importantes. Mais ne sont-ils pas, eux, les soldats du
Christ, nos dignes représentants ? Quand leurs étendards ont tourné à
déconfiture, à Hattin, ces hommes, qu’ont-ils fait ?
    — Ils se sont rendus, répondit Josias amèrement.
    — Ils sont morts pour leur foi. Ce faisant, ils
rejoignaient le Christ, dont ils venaient de fournir la plus parfaite
imitation. Rien n’est plus beau que de mourir ainsi, soupira le Pape.
    Il y eut un long silence embarrassé, puis Josias
s’agenouilla et prit la main du pape :
    — Très Saint-Père,

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